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jovial tavernier de Southwark, dictateur bruyant à la face rougeaude, qui avait réglé le pas des montures et fait taire les narrateurs ennuyeux, très différent en toutes choses de Fiammetta et de dame Oisille.

Sous l’influence de l’Italie, de la France et de la mythologie, l’Angleterre d’Elisabeth change tout cela ; les femmes paraissent au premier plan : un mouvement de curiosité générale entraînait le siècle ; elles s’y associent sans effort. Elles se feront savantes, s’il faut, plutôt que de rester dans la pénombre, et, une fois mises en bonne lumière, elles ne se contenteront plus qu’on leur permette la lecture des livres écrits pour leurs pères, frères, amans ou époux ; il faudra qu’on en écrive spécialement à leur intention en consultant leurs préférences et caprices personnels, et elles ont beau jeu pour commander : l’une d’elles est sur le trône.

Les premiers essais de romans dans le goût moderne furent le résultat de ces exigences. Ne soyons pas surpris cependant si ces ouvrages sont trop enrubannés à notre fantaisie : les toilettes d’alors étaient moins sobres que celles d’aujourd’hui ; de même, la littérature. Or, en toutes choses, Elisabeth, qui était fort de son temps et en partageait jusqu’aux manies, aima et encouragea la parure. Tout ce qui était décor et travestissement avait sa faveur; malgré les affaires, elle resta toute sa vie la plus féminine des femmes ; sur ses habits, dans ses châteaux, chez ses poètes, elle voulut trouver des ornemens et des fleurs à profusion. La savante reine qui lisait Plutarque en grec, ce que ne put jamais faire Shakspeare, et traduisait Boèce en anglais, trouvait, malgré sa philosophie, un plaisir extrême à se faire peindre en des costumes de fantaisie, sa sèche personne enserrée dans un fourreau de soie, couvert d’une gaze légère où couraient des oiseaux. Autour d’elle, c’est un camp du drap d’or perpétuel, et les seigneurs vendent leurs terres pour paraître à la cour suffisamment brodés. L’architecture, comme les costumes, se couvre d’ornemens, et les hommes graves s’en affligent : « Il ne manque pas, écrit Harrison, de belles et bonnes demeures dans plus d’un endroit en cette île, mais elles semblent plutôt faites pour plaire au regard curieux avec leur aspect de papier découpé que pour durer, grâce à une solide structure. »

Le roman, qui reçoit à ce moment une nouvelle vie et renaît avec tous les autres genres littéraires, a, la plupart du temps, beaucoup de traits communs avec cette architecture et ces costumes. Que nous importe, pensait-on, ce qui est pratique, commode ou confortable ? nous ne voulons rien que ce qui est éclatant, inattendu, extraordinaire. A quoi bon mettre par écrit les incidens des vies communes? ne nous sont-ils pas suffisamment connus? leur trivialité ne nous afflige-t-elle pas assez tous les jours? Si l’on nous raconte des vies