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les glaces du pôle le chemin de la Chine. Les beaux cavaliers et les beaux esprits et même la bohème littéraire sans son ni maille, passent la Manche, les Alpes, les Pyrénées, cherchant, eux aussi, des mines d’or à exploiter, recueillant des pensées, écoutant des histoires, notant les récentes découvertes et souvent s’appropriant les vices élégans et les mœurs faciles des peuples du Midi. « Un Anglais italianisé est un diable incarné, » disait un proverbe populaire que ne se lassaient point de répéter les hommes tranquilles demeurés à la maison.

Mais les voyageurs affluaient vers le Midi. Aucune éducation n’était complète sans un séjour sur le continent ; c’était une ardeur de voir et de s’instruire qu’aucun spectacle et aucune science ne pouvaient rassasier ; on apprenait le grec, le latin, l’italien, le français à Oxford et à Cambridge, les seigneurs faisaient parade de leur savoir, à l’exemple d’Henri VIII et de ses enfans ; l’ignorance était démodée comme les vieilles tours sans fenêtres, et le grave Érasme annonçait au monde, en des lettres enthousiastes, que « l’âge d’or » allait renaître dans cette île fortunée. La fermentation des esprits dura plus d’un siècle ; souvent les vies en furent écourtées, mais elles avaient été doublement remplies. De cette curiosité inquiète viennent ces caractères si frappans d’omniscience, d’universalité, cette prodigieuse richesse en images, allusions et idées de toute sorte qu’on retrouve, du petit au grand, chez presque tous les auteurs de ce temps et qui unit d’un lien commun Rabelais et Shakspeare, et Cervantes et Sidney, et le « maître des charmeurs de l’oreille, » Ronsard.

Quand les armures, plus rarement portées, commencèrent à se rouiller dans les grand’salles et que les seigneurs sortant de leurs cuirasses comme des papillons de leurs chrysalides se montrèrent tout chatoyans de soie, des perles aux oreilles, la tête pleine de madrigaux italiens et de comparaisons mythologiques, on vit se former une société nouvelle, s’organiser des sortes de salons, grandir le rôle des femmes. Sans doute, le moyen âge anglais ne leur avait pas été avare de complimens. Mais entre célébrer en vers les blanches dames au long col et écrire des livres exprès pour elles, il y a une grande différence, et c’était là justement une de celles qui se séparaient au moyen âge et jusqu’au milieu du XVIe siècle l’Angleterre des peuples du midi. Aucune dame Oisille n’y avait assemblé autour d’elle, au fond des vertes vallées, des conteurs d’histoires amoureuses ; aucun parc aux fins ombrages n’y avait vu des Fiammetta ou des Philomène oublier, en écoutant des récits multicolores, les dures misères de l’humanité. Le seul groupe de conteurs réunis par la fantaisie d’un artiste avait chevauché en plein soleil sur la grand’route de Cantorbéry ; sous la gouverne d’Harry Bailey, le