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d’outils pour établir une usine, la faire fonctionner économiquement. L’usine fonctionne ; alors les produits fabriqués se trouvent sur le marché en concurrence avec des produits semblables sortis d’usines étrangères depuis longtemps existantes et qui ont réalisé tous les progrès. La question des matières premières occupe d’ailleurs une place prépondérante, car si le colon grec rendu au Pirée y coûte plus cher, à qualité égale, que le coton venu d’Amérique, l’industrie de la filature emploiera au Pirée le coton américain et le paysan grec cessera d’en cultiver. De même, si le minerai de Sériphos, traité sur place, donne le fer à un prix supérieur à celui des usines européennes, on ne pourra pas créer une forge ou un haut fourneau à Sériphos, et ce minerai sera transporté brut aux usines européennes. Ainsi l’industrie a rencontré en Grèce des problèmes que n’a pas soulevés l’agriculture.

Avant la création ou du moins l’énorme progrès de la mécanique industrielle, les Grecs avaient organisé en Thessalie une fabrication, dont l’étude jette un grand jour sur le caractère même et l’esprit des populations helléniques. Ambélakia, nom qui signifie les vignes, était un riant village de la célèbre vallée de Tempe; il abondait en sources d’eaux vives qui par leurs propriétés donnaient à la teinture rouge du coton une solidité et un éclat particuliers. En 1795, il s’y forma pour la fabrication de ce fil une association disposant de 100,000 francs. Peu à peu la société s’étendit à vingt-deux villages thessaliens. Tous les habitans, jeunes et vieux, en faisaient partie ; elle était à la fois agricole, industrielle, commerciale. Les femmes et les enfans blanchissaient et teignaient le coton, cultivé par les hommes. Ceux-ci transportaient aussi les paquets à Salonique. Des commissions nommées par les habitans administraient l’association; des correspondans, eux-mêmes associés, résidaient dans les principales villes de l’Europe, surtout en Autriche et en Allemagne. La vente des cotons d’Ambélakia prenait une extension croissante ; la société jouissait sur les places de l’Europe d’un immense crédit; son papier était accepté partout. En 1810, quinze ans après sa fondation, son capital de 100,000 francs avait fructifié au point d’être devenu 20 millions. Les revenus de cette vaste entreprise, après avoir payé l’achat du blé pour les ouvriers, les baksich aux Turcs, les impôts, les frais de bureau, d’agences, de bibliothèques, d’imprimerie, d’hôpitaux, et les intérêts du capital à raison de 15 pour 100, étaient partagés entre les membres de l’association, proportionnellement à la valeur de leur travail fixée d’avance. Ce genre d’association, ne comprenant que des membres actifs et producteurs, ne ressemblait en rien à nos sociétés d’actionnaires, souvent oisifs et intéressés uniquement par leurs capitaux. C’est