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Malgré le système des jachères et l’absence de culture intensive, le paysan grec n’est pas pauvre. L’exportation de ses produits dépasse l’importation de plus d’un quart ; le principal est consommé sur place. D’ailleurs la nature lui est plus favorable qu’à nous. Il n’a presque jamais à se plaindre des froids excessifs : pendant les onze années que j’ai passées en Grèce, je n’ai vu de dommages causés par la gelée qu’une seule fois. Les orages ont lieu en hiver, à une époque où les cultures n’ont pas souvent à en souffrir; ceux d’été, qui sont rares, sont seuls redoutés des propriétaires de vignes, parce que la dessiccation du raisin de Corinthe se fait en plein air. En somme, le paysan grec a peu de besoins ; il est heureux dans sa condition et je pense qu’il faut attribuer en grande partie à la douceur du climat le caractère paisible et les mœurs hospitalières de cette population rurale. Ceux qui ont prétendu que le paysan grec et le berger qui vit au-dessus de lui dans la montagne sont des spéculateurs de bourse, ont fait un tableau de fantaisie, sur lequel il est temps de passer l’éponge. Ce paysan suspend son travail pour chômer les nombreuses fêtes religieuses ou nationales de l’année ; alors il danse et il chante à perdre haleine ; les femmes dansent aussi, sur la place publique du village ou dans quelque lieu traditionnel. G est un écho charmant de l’antiquité. A Pâques on tire avec fureur des coups de fusil pour fêter la résurrection ; cette nuit-là, personne ne ferme l’œil ni aux champs ni dans les villes. La police fait savoir chaque année qu’elle interdit ce « tapage nocturne; » que peut la police contre les mœurs? Elle ne saurait non plus calmer l’effervescence des esprits en temps d’élection : dans ces jours-là il n’y a plus de paysans, tous sont devenus des hommes politiques ; on se passionne pour tel ou tel candidat, on se querelle, on se bat et parfois on s’estropie ou l’on se tue. Le temps adoucira ces procédés électoraux, quand les campagnards auront senti par expérience que les hommes changent et que les choses restent.


III.

L’industrie n’a pas marché du même pas que l’agriculture. Elle exige des connaissances scientifiques qui ne s’acquièrent pas en quelques jours. Cet apprentissage se fait dans les écoles, où l’on doit trouver des professeurs tout formés et des collections d’instrumens. On peut appeler les professeurs du dehors, mais ils ne sont pas familiarisés avec la langue du pays, et cette langue ne fournit pas les termes scientifiques ; il faut les créer. Cela fait, quand de la théorie on passe à la pratique, on se trouve dénué d’ouvriers et