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essayer de l’occuper ? » Les armes aussitôt prises, le commandant descendit au Roummel, qui grossissait à vue d’œil. Les hommes le traversèrent à la file en se tenant par la main ; l’eau leur montait jusqu’à la poitrine. Quand ils eurent passé, la nuit était faite ; la neige, qui ne cessait pas de tomber, amortissait le bruit de leurs pas. Arrivés au Bardo, ils le trouvèrent vide ; il n’y restait qu’un bœuf, qui fit les frais du souper ; des solives enlevées au toit entretinrent le feu sous les marmites. Le lendemain, au point du jour, le drapeau français hissé, selon l’ordre du maréchal, au plus haut de l’édifice, n’eut d’autre effet que de servir de cible aux canonniers turcs. Peu de temps après, un bruit de combat attira l’attention du commandant ; le bataillon, qui, bien abrité, avait pu mettre ses armes en état pendant la nuit, gravit rapidement la pente du Coudiat-Aty et déboucha fort à propos sur le flanc d’une sortie à laquelle les troupes du général de Rigny, dont les fusils mouillés ne pouvaient pas faire feu, n’avaient à opposer que leurs baïonnettes ; l’intervention du 2e léger fut imprévue, rapide et décisive. De la terrasse du Mansoura, le maréchal, attiré lui aussi par le bruit de l’engagement, en avait suivi le détail ; on le vit faire et répéter longtemps le geste d’un homme qui applaudit. Séparé de sa brigade par la crue des eaux, le commandant Changarnier se mit à la disposition du général de Rigny. Le bataillon du 2e léger fut placé à droite du quartier général.

Du côté du Mansoura, la nuit du 21 au 22 novembre avait été marquée par un douloureux incident. Après avoir traversé la veille à grand’peine le Bou-Akmimine, les prolonges de l’administration, chargées de vivres, étaient restées embourbées jusqu’au moyeu dans une fondrière ; aucun effort n’avait pu les en faire sortir. C’était le 62e qui leur servait d’escorte. De tous côtés, on voyait surgir des bandes d’Arabes ; le colonel envoya prévenir le quartier général et demander du renfort. « Rien de mieux, répondit ironiquement le maréchal ; s’il en est ainsi, je vais conduire l’armée où est le convoi, puisque le convoi ne peut pas venir où est l’armée. Dites à votre colonel, ajouta-t-il en changeant de ton, qu’il faut qu’il tienne, me comprenez-vous ? et qu’il m’amène les voitures. » Un peu après, nouveau message ; le 62e, disait-on, n’avait plus que trois cents hommes. « Trois cents hommes ! s’écria le maréchal ; qu’avez-vous fait des autres ? La pluie les a-t-elle fondus ? ou bien en avez-vous eu sept cents hors de combat ? Je n’ai pas de renforts à donner. » Cependant il fit partir Jusuf et sa cavalerie. Les spahis arrivèrent trop tard. Les voitures étaient abandonnées ; les Arabes achevaient de faire main basse sur ce que les hommes d’escorte avaient eu la funeste idée de mettre d’abord au