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français. » La situation du colonel Duverger n’était pas moins fausse ; il était le supérieur hiérarchique de Jusuf et cependant il paraissait n’être que son adjoint. « Il semble, ajoutait le correspondant de Duvivier, que par un pacte secret il se soit engagé à ne commander qu’en apparence et à n’être en réalité que le bras droit de Joseph. »

Un moment, la bonne chance parut revenir au favori du maréchal. Le colonel Duverger avait ordre d’établir sur le chemin de Constantine une série de postes-étapes, de manière à réduire d’autant la distance que l’expédition aurait à parcourir sans moyens de ravitaillement. A cinq lieues et demie de Bône, le plateau de Dréan parut convenir à la création d’un camp retranché qui fut construit aussitôt et reçut le nom de camp Clauzel. Cette prise de possession imposa d’abord aux indigènes. Une des plus puissantes tribus de la province, établie à vingt lieues au sud-est sur la frontière de Tunis, les Hanencha, était divisée par la rivalité de deux grands chefs, El-Hasnaoui et Resghi, en deux factions ou sof. Le dernier tenant le parti d’Ahmed, l’autre se déclara pour Jusuf et lui amena cinq cents cavaliers, grand succès dont celui-ci ne manqua pas, très justement d’ailleurs, de se faire gloire auprès du maréchal. Il profita de ce renfort pour rayonner de plus en plus loin autour de Bône, étendant malheureusement beaucoup moins sa protection que ses rigueurs, pillant les insoumis en faveur des auxiliaires, n’usant que de la force et n’ayant que la menace à la bouche. Enivré de sa fortune, il ne souffrait plus de contradiction ; avec les indigènes il agissait en pacha turc. Son secrétaire Khalil, ancien cadi de Bône, soupçonné par lui d’avoir voulu l’empoisonner, à l’instigation d’Ahmed, fut, un soir du mois de juillet, au camp Clauzel, saisi dans sa tente et décapité tout de suite, à l’insu même de l’officier supérieur qui commandait le camp. Cette exécution sommaire fit un prodigieux effet, non-seulement en Afrique, mais à Paris. Le maréchal Clauzel demandait en ce temps là pour Jusuf le grade de lieutenant-colonel et l’appuyait chaleureusement : « Tout cela, écrivait en marge de la demande le maréchal Maison, ministre de la guerre, tout cela ne fait pas que Jusuf doive continuer à brigander. »

Parmi les Arabes, le meurtre de Khalil était vivement commenté. Ahmed n’eût fait ni mieux ni pis. « On dit, écrivait à Duvivier un de ses correspondans de Bône, on dit que Jusuf fait le bey tout aussi bien qu’Ahmed. Il porte comme lui un chapelet à la main, il a de plus beaux habits que lui, il lève des contributions comme lui, fait comme lui distribuer des coups de bâton, et comme lui couper des têtes sans en demander la permission à qui que ce soit. On dit qu’il en est, parmi les Arabes, qui se permettent de regretter