Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 79.djvu/521

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dans ces derniers jours, il y avait eu entre le gouvernement et le maréchal Clauzel un échange de récriminations un peu mesquines, une vraie chicane de mots. Le maréchal, qui était décidé à l’expédition, voulait qu’elle lui eût été ordonnée ; le ministre de la guerre répliquait aigrement qu’elle était seulement autorisée. « Je vous ai dit formellement, écrivait-il au gouverneur, que, comme vous n’êtes qu’autorisé à faire l’expédition, vous pouvez vous dispenser de la faire, qu’il dépend de vous seul de prendre à cet égard une détermination selon que vous trouverez les moyens à votre disposition suffisans ou insuffisans. Il est donc bien évident que le gouvernement du roi n’a point ordonné l’expédition de Constantine. » Etrange contradiction : pendant que le ministre de la guerre désavouait ainsi par avance et, pour ainsi dire, par précaution, l’aventure, on y hasardait le second fils du roi, le duc de Nemours, et c’était l’auteur de la diatribe qu’on vient de lire qui écrivait, le 22 octobre, au maréchal : « Je vous ai fait connaître, par ma dépêche télégraphique d’hier, que j’ai appris avec satisfaction que vous entrepreniez l’expédition de Constantine et que vous n’étiez pas inquiet des résultats. L’intention de Sa Majesté est que mon seigneur le duc de Nemours assiste à l’expédition comme le prince royal a assisté à celle de Mascara. C’est une preuve de l’intérêt que prend Sa Majesté au succès de l’expédition de Constantine. » Le 28 octobre, le maréchal Clauzel s’embarquait dans le port d’Alger Pour Bône. La foule qui venait d’assister à son départ pouvait se dire, en voyant disparaître au-delà du cap Matifou le navire qui l’emportait : Alea jacta est.


II.

La province de Bône, on ce qu’on désignait ainsi, c’est-à-dire la ville de Bône et sa banlieue, avait eu pour commandant, depuis le 15 mai 1832 jusqu’au mois de mars 1836, le général d’Uzer. À la fois ferme et conciliant avec les indigènes, il avait, pendant ces quatre années, obtenu des résultats considérables ; en dépit du bey de Constantine Ahmed, de ses intrigues et de ses menaces, les tribus voisines, dans un demi-cercle de plus de quinze lieues de rayon, avaient reconnu l’autorité française. Elles savaient, par expérience, que, si le général de Bône ne se laissait pas braver impunément, il ne tolérait, de la part des colons européens, aucune injustice contre les Arabes soumis et paisibles : mais parmi les cotons, cabaretiers, cantiniers, mercanti pour la plupart, le général était loin d’être aussi populaire ; on lui faisait un crime de sa bienveillance pour les indigènes. Il y avait encore d’autres griefs tout aussi misérables qu’on faisait valoir à son désavantage. Bône était pourvu