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le bey Bou-Matmore, parce qu’il est resté quatre mois caché dans un matmore et qui, cinq semaines après son installation, a été conduit, pieds et poings liés, de Médéa à Miliana, de là au camp d’Abd-el-Kader sur la Tafna et enfin à Fez, à Mequinez et à Maroc, qui, les cheveux longs, la barbe et la moustache rasées, a été promené dans tout le pays sur un âne, la tête tournée du côté de la queue, emblème vivant de notre humiliation? A quoi donc a servi l’ambassade de M. de La Rue? Pourquoi n’a-t-il pas réclamé ce personnage? Quel poids voulez-vous que les paroles d’un gouverneur aient en Afrique, si vous oubliez de semblables choses? En Europe, on les ignore, mais les Arabes les savent, s’en souviennent, vous les jettent au visage et vous y font monter le sang. »

Pour venger cet outrage, il fallait reprendre Médéa et s’y établir; c’était la première occupation que le maréchal Clauzel avait résolu de faire. En attendant son retour et d’après ses instructions du 2 août, le général Rapatel donna au général de Brossard l’ordre de se porter avec une colonne de 2,000 hommes sur la Chiffa et d’y construire un camp retranché. Ce camp devait servir de base à l’opération projetée sur Médéa; mais comme de Boufarik à la Chiffa la sûreté des communications était douteuse, on décida de relier les deux stations par des postes intermédiaires. Tandis qu’on était en train de faire les terrassemens, le maréchal revint à Alger, le 28 août. Ce système de petits postes qui avait pour conséquence l’éparpillement des troupes, ne lui plut pas; il ordonna de suspendre le travail et d’évacuer même le camp ébauché de la Chiffa. Sur ces entrefaites, les nouvelles les plus graves lui arrivèrent de Paris, apportées par le commandant de Rancé, membre comme lui de la chambre des députés et son premier aide-de-camp. Sur la question d’une intervention française en Espagne, un désaccord avait éclaté entre le roi Louis-Philippe et M. Thiers ; le cabinet du 22 février était en dissolution ; le maréchal Maison, près de quitter le ministère, inquiet des engagemens pris avec le gouverneur, avait arrêté le départ des renforts annoncés. Quelque diligence que M. de Rancé eût mise à son voyage, la crise avait marché encore plus rapidement que lui. Quand il était arrivé à Alger, le 8 septembre, il y avait déjà deux jours qu’un nouveau cabinet était constitué sous la présidence du comte Molé ; le général Bernard avait le portefeuille de la guerre. Immédiatement le maréchal Clauzel fit repartir pour Paris son aide-de-camp. Le ministère ne lui était pas favorable, et, pour comble de disgrâce, le rapporteur de la commission du budget, M. Baude, venait de débarquer en Algérie, chargé officiellement de faire une enquête sur les indemnités dues aux indigènes dépossédés, depuis 1830, par l’autorité française, mais