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la Bulgarie a été en définitive la victime d’une crise dont elle n’avait été que le prétexte. Les délégués bulgares qui viennent de parcourir l’Europe, en ont fait la décourageante expérience par l’accueil qu’ils ont reçu un peu partout. Ils étaient probablement partis avec le bon espoir de trouver aide et protection dans les cours de l’Occident, de gagner des sympathies à leur cause, d’être traités tout au moins comme les représentans d’une petite nationalité indépendante à la recherche d’un prince; ils ont été traités comme des trouble-fêtes, comme des voyageurs sans titre et sans mandat. Ils sont allés à Vienne, où on leur a donné plus de bonnes paroles que de promesses sérieuses. Ils sont allés à Berlin où ils ont été à peine reçus, où on leur a dit sans marchander que ce qu’ils avaient de mieux à faire était de s’entendre avec le cabinet de Saint-Pétersbourg, de se soumettre à la volonté ou au désir du tsar. Ils ont continué leur voyage par l’Angleterre, comptant peut-être trouver quelque appui dans un pays dont les agens ne leur ont pas ménagé depuis un an les excitations et les encouragemens dans leur résistance à la Russie : on les a comblés de politesses, d’invitations et de festins sans leur rien dire. Ils sont venus à Paris, ils y étaient encore ces jours derniers, et le ministre des affaires étrangères de France, dans un entretien tout privé, leur a parlé comme tous les autres gouvernemens, les renvoyant poliment à la Russie leur protectrice et à la Turquie leur suzeraine. Ils iront demain à Rome, où ils entendront le même langage. Ce voyage inutile des envoyés de la Bulgarie n’a eu d’autre signification et d’autre résultat que de bien montrer que personne n’a la volonté ou n’est en mesure d’aller soutenir un conflit dans les Balkans, et que le prince qui sera proposé par la Russie, prince de Mingrélie ou duc de Leuchtenberg, sera vraisemblablement accepté par les autres puissances. Les malheureux Bulgares avaient évidemment choisi une mauvaise heure; ils sont tombés dans une Europe qui avait pour le moment d’autres préoccupations, qui en était à se demander si, de cette obscure et médiocre affaire des Balkans, n’allaient pas naître de dangereux changemens d’alliances et de redoutables complications, si, dans les conseils du continent, les passions de la guerre allaient l’emporter sur tous les intérêts de la paix.

C’est là, en effet, la vraie question, et, depuis quelques semaines, on ne s’est fait faute de chercher le secret de cette situation. Les commentaires n’ont pas manqué sur ce qu’on voyait ou ce qu’on croyait deviner, sur une modification récente des relations de l’Allemagne et de l’Autriche, sur le rapprochement soudain et énigmatique de Berlin et de Pétersbourg, sur la crise de l’alliance des trois empereurs, sur la tension croissante des rapports entre l’empire allemand et la France. Tout cela s’est trouvé mêlé et confondu. Qu’en est-il réellement?