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les actions et les paroles de ces personnages sont telles que les commandent leur naturel et leurs mœurs. Voilà donc qui va bien, et qui va tout seul : sans intervention de l’auteur, on s’intéresse au roman de ce ménage, au drame qui l’achève, et à cette suite qui est l’histoire d’une veuve.

Michel aussi est un être vivant, qui « s’explique lui-même, » et dont l’explication s’admet aisément. Un ouvrier qui a un grain de génie et qui veut le faire lever, dans ce siècle où les Arts et Métiers sont rois ; qui rêve la gloire des découvertes scientifiques, et qui d’abord se distrait de ses mécomptes et des duretés de la vie par un peu de vin ; qui pose la bouteille et redouble d’efforts, se purifie, s’élève et s’ennoblit par la grâce de l’amour et pour mériter une femme ; qui, trahi par cette femme, la chasse; qui, pour se consoler de l’amour, reprend le pèlerinage de la science, mais, chemin faisant, retombe dans son vieux péché; pour tout dire en trois mots, un fils du peuple, intelligent et passionné, est-ce un monstre? Non, c’est un homme. Cet homme se comporte, en des circonstances qui n’ont rien de merveilleux, suivant son tempérament et sa condition ; il s’exprime avec la même convenance, il hausse et rabaisse son langage selon ses habitudes et sa passion de l’heure présente. On s’attache à lui dès qu’il paraît, on ne l’abandonne que mort.

Le baron von der Holweck, gentilhomme de race et savant par vocation, vieillard léger d’écus et chargé de manies, cerveau chimérique, plein d’honneur et de billevesées, est-il besoin qu’on certifie et qu’on excuse son existence ? Nous l’avons vu cent fois sur les quais, devant l’étalage d’un bouquiniste : à un seul pli de sa vaste redingote, à une mèche de ses cheveux gris tombant sur le collet, nous retrouvons notre bonhomme. Il agit peu et il parle beaucoup : c’est le contraire qui nous surprendrait; mais il agit et il parle comme il lui appartient de le faire. D’abord quémandeur, mais non sans dignité, un moment vient où il essaie de faire aumône du seul bien qu’il ait gardé : il offre à la jeune fille perdue par son neveu la protection d’un nom pur. La démarche est chevaleresque et naïve: elle ne messied pas au personnage. La moindre de ses phrases convient à ses qualités de noble étranger, « naturalisé citoyen français, ancien franc-maçon, auteur d’un mémoire couronné par l’Académie des sciences, etc. : » — que dire des plus longues? Aussi l’écoute-t-on avec complaisance : il est ainsi parce qu’il est, et l’on ne peut douter qu’il soit.

La Roseraye, sa femme, Michel Pauper et le baron, voilà donc quatre caractères jetés sur la scène, qui se meuvent et s’expriment sans guide ni truchement. Ils seraient ainsi partout ailleurs, et nous le savons. Ils resteraient les mêmes s’il n’y avait pas d’auteur derrière le décor et si nous n’étions pas dans la salle : nous en sommes convaincus sans