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qui se trahit dans leur unique entretien : le dialogue de cette scène est peut-être un peu compact, et j’imagine que M. Becque, plus tard, l’eût aéré davantage; mais que la matière morale en est bonne et abondante! Balzac approuverait cette substance de roman. Mme de la Roseraye honnête, douce, soumise, résignée; intelligence et volonté bornées par la modestie, par la tendresse, par une mélancolie habituelle; vertu imprévoyante et faible, inutile à elle-même et à autrui, car elle n’a de sursaut d’énergique sous la menace du malheur, alors qu’il est trop tard pour en parer le coup. La Roseraye, esprit alerte, souple et brillant, probité précaire, bravoure persistante. Il a engagé, sur le tapis vert de l’industrie moderne, une partie dont la vie et l’honneur, d’une part, la fortune, d’autre part, sont les enjeux. A mesure que l’homme, dans la lutte sociale, se débarrassait de ses scrupules, la femme, au foyer domestique, se laissait opprimer davantage. La poule n’a pas chanté devant le coq; et le coq, après avoir combattu le bon combat, s’est risqué dans les pires aventures. Un jour, enfin, elle jette un cri d’alarme : vain avertissement, ce n’est plus qu’un signal de mort Mme de la Roseraye, avec mansuétude, avec charité, avec amour encore, invite son mari à établir le bilan de leur existence conjugale en même temps que celui de ses affaires, à s’arrêter, à se retirer dans la sagesse et dans la paix. Mais, la veille déjà, il a choisi entre une chance de salut et l’honneur: appelé par sa femme à un examen de conscience, il ne peut plus que la consulter comme si ce choix était encore à faire. C’est l’honneur qu’elle lui recommande : d’un seul mot, de ce mot vertueux, elle le tue. Ne l’a-t-elle pas, sans le savoir, jugé, condamné? Il s’exécute. Il tourne un pistolet contre sa poitrine : « Crève, gredin! » Cette exhortation qu’il s’adresse devient son oraison funèbre. La pauvre femme survit à cette catastrophe. Elle adjure sa fille de se presser plus étroitement contre elle; et, comme cette fille ne s’accommode guère à son affection, elle reporte sur un ami, son gendre bientôt, l’épargne de ses tendresses. Quand son gendre reste seul, — on sait par quel autre malheur, — elle le chérit plus encore et le soigne comme un fils. Elle défend que sa fille reparaisse devant elle, et même qu’on lui en parle : « Je l’ai pleurée vivante, dit-elle, plus que je ne la pleurerai morte. » À ce moment, l’exilée se dresse sur le seuil; la mère se précipite, les bras ouverts : « Mon enfant ! » c’est que son cœur est demeuré le même, et non-seulement son cœur, mais tout son caractère. Celui-ci, non plus que celui de La Roseraye, n’a étonné personne : ni cette variété d’honnête femme, ni cette variété de « gredin » n’est rare ; si déterminés que soient les individus, il suffit qu’ils se présentent pour qu’on les reconnaisse ; si vrais qu’ils soient, oserai-je dire, ces caractères sont vraisemblables. D’ailleurs,