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Non, ce n’était pas, malgré les apparences de l’action, un mélodrame bourgeois. Et d’abord, à je ne sais quelle grandeur épique des personnages, on se doutait que l’auteur avait eu dessein de faire autre chose. Le héros, sous ce nom de Pauper, n’avait-il pas la valeur symbolique de quelque Dêmos moderne, non pas bonhomme, celui-ci, mais rude homme de peine et de pensée ? Il s’efforçait vers la science, vers l’impersonnel ; et, trahi par la beauté, par le réel, il tombait en chemin et mourait. À ses côtés, le représentant d’une aristocratie finissante déclarait ses vices avec la crudité d’un type ; et, d’autre part, une sorte de chorège, issu de vieille race et tourné vers les idées neuves, essayant de consommer l’alliance de l’ancienne loi et de la nouvelle, se montrait impuissant et bafoué. Celui-ci et celui-là, en certaine rencontre, étaient suspects de déclamation ; mais, déclamatoire ou grande, cette œuvre de jeunesse n’était nulle part banale. Une âme agitait ce drame, qui était encore l’âme d’un poète, préoccupé de philosophie sociale, et déjà celle d’un pessimiste, implacable en ses conclusions sur la vie quoique pitoyable à l’homme.

Ce qui n’était pas non plus d’un mélodrame, c’était la simplicité, la naïveté même de la facture. Une exposition faite en trois scènes, dont la dernière, au moins, dialoguée par un maître ; un quatrième acte formé presque entier d’une seule scène, qui élevait l’ouvrage, avec une singulière puissance, jusqu’à son point culminant. Cette ingénuité de l’auteur n’avait-elle que de bons effets ? Il semblait que, par endroits, elle pût se nommer gaucherie. Pour quatre personnes, au deuxième acte, trois monologues : la mère d’abord, et puis la fille, et enfin le père usaient sans scrupule de ce moyen de s’épancher. Pour amener un nouveau personnage, et justement le plus difficile à introduire, le procédé le plus élémentaire suffisait. La mère sortie, la fille restée seule, comment faire paraître l’amant ? « Adèle, disait la fille à sa femme de chambre, courez chez M. de Rivailles. Vous lui direz que je suis seule et que j’ai désiré le voir. — Bien, mademoiselle, » répondait Adèle ; et, un moment après, elle rouvrait la porte : « Voici M. le comte. » Posées à si peu de frais l’une auprès de l’autre, plusieurs scènes, avec une belle carrure, avaient un air d’incohérence : au moins la cohésion de toutes ensemble n’était que celle de blocs cyclopéens. Une telle architecture, antérieure à l’architecture, imposait ici le respect par ses beautés naturelles, et ailleurs déconcertait et inquiétait l’esprit par son manque de façons. Rien ne ressemblait moins à cette œuvre d’artifice et à ce chef-d’œuvre d’ajustage, à la charpente d’un mélodrame.

Mais s’il y a, dans le mélodrame, quelque chose de bien fait pour ne pas étonner, c’est les fantômes de caractères qu’un auteur y met en jeu. Aucun n’est vrai, mais tous, pour la durée du spectacle, sont vraisemblables. Tous les personnages sentent, agissent, parlent selon