Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 79.djvu/449

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Pauvre garçon ! comme il a l’air malheureux !

— N’ayant jamais rien eu de caché pour vous, mon père, sachez que c’est moi qu’il faut rendre responsable du chagrin et de l’émotion de M. D’Aumel.

— Comment cela ?

— Il a demandé ma main et j’ai repoussé ses vœux.

— Est-ce possible? il ne vous plaît donc pas ?

— Si, il me plaît beaucoup.

— Sa nationalité serait-elle une objection ?

— Je ne dis pas cela.

— Auriez-vous déjà engagé votre parole?

— Non, mon père.

— Votre cœur est encore libre ?

— Je mentirais si je disais qu’il l’est.

— Puis-je connaître le nom de celui que vous aimez?

— Pour cela il faudrait le savoir et je ne le sais pas.

— En conscience, si la chose n’était aussi sérieuse, je croirais que vous plaisantez. Expliquez-vous, Ethel, je vous en conjure.

— A quoi bon, mon père ? Il est probable que celui que j’aime ne m’aime pas, et il est sûr que vous n’approuveriez pas mon choix.

— Ciel ! que voulez-vous dire? S’agit-il d’un Israélite, d’un histrion, d’un Zoulou ou d’un chimpanzé?

— Rien de tout cela, mais d’un simple paysan. Vous rappelez-vous le beau cultivateur que nous avons vu l’an dernier en allant au Bosquet du roi?

— Parfaitement.

— Eh bien ! puisque vous-voulez le savoir, c’est lui que j’aime, que j’aimerai toujours.

— Vrai ! est-ce possible ?

— Oui !

— C’est pour cette raison que vous avez refusé M. Didier d’Aumel?

— Uniquement ; et peut-être même n’aurais-je pas été insensible à ses vœux, si je l’avais connu avant de rencontrer le beau fermier de Seine-et-Oise; les circonstances étant données, je resterai fidèle à l’inconnu que j’aime ; telle est, mon père, la vérité. Ce soir, je me sens un peu fatiguée ; je vous demande à me retirer de bonne heure dans ma chambre. Adieu, mon père! à demain.

Pour achever sa soirée, M. Elsewhere dirige ses pas vers la terrasse du bord de l’eau ; la première personne qu’il y rencontre fut Didier d’Aumel. Le dean l’abordant avec bonté lui dit :

— Jeune homme, je sais maintenant la cause de vos chagrins; je sais l’honneur que vous avez fait à ma fille; par elle, j’ai appris qu’elle avait repoussé vos vœux, je le regrette, mais je n’y puis