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En ramenant miss Ethel à sa place, Didier salue M. Elsewhere, aux yeux de qui il reste aussi parfaitement inconnu qu’à ceux de sa fille. Comment ce jeune Parisien, aux manières distinguées, aurait-il pu leur rappeler un rustique cultivateur, vaquant aux travaux des champs ? Comment croire que c’est un même individu, rendu méconnaissable par le port de la barbe, par une élégante chevelure et aussi par le nom d’Aumel, que le dean et Ethel venaient d’entendre pour la première fois ! Sans doute, il en est d’autres qui l’eussent reconnu à la voix, car, de ce côté, la fatalité de la personnalité est invincible ; mais les étrangers ne peuvent être frappés, comme nous, des intonations particulières à chacun.

Pendant une huitaine, les prolégomènes du mariage offrent à Didier d’Aumel et à miss Elsewhere l’occasion de se voir souvent. Arthur d’Antac prie même celle-ci de quêter avec M. D’Aumel à Sainte-Clotilde. Heureux et fier de l’honneur qui lui incombe, Didier commande pour le grand jour, chez Roseau, un bouquet composé de gardénias et de clématites. En le recevant, Ethel sent que son visage s’empourpre légèrement. Puis, au moment où chacun prend congé des nouveaux mariés, miss Elsewhere salue gracieusement Didier et, tout en lui réitérant ses remercîmens, elle ajoute, en fixant sur lui ses yeux veloutés :

— On dirait vraiment, monsieur, que vous avez deviné que la clématite est ma fleur favorite !


V.

De retour d’Appenzel, c’est-à-dire vers la mi-octobre, M. Elsewhere et sa fille retrouvent à Paris M. et Mme d’Antac, à qui ils ont donné rendez-vous pour faire la traversée de Calais à Douvres. Le comte et la comtesse conduisent Ethel au Théâtre-Français, car, si le dean ne se permet aucun spectacle, il ne les interdit pas à sa fille.

Avant de quitter Paris, Mme d’Antac, gaie comme on l’est à vingt ans, demande à son mari de la conduire au Monde où l’on s’ennuie ; élevée par une mère très collet monté, qui avait refusé avec une sainte obstination ce plaisir à sa fille, celle-ci s’était bien promis de prendre sa revanche plus tard.

M. D’Aumel est à l’orchestre ; pendant un entracte, les deux amis se rencontrent ; Arthur dit qu’il est dans une avant-scène du rez-de-chaussée avec sa femme et miss Elsewhere. M. D’Aumel s’empresse d’aller saluer ces dames, qui lui font le meilleur accueil. On parle de la pièce, des acteurs ; Ethel s’amuse surtout de la façon dont Mlle Broisat tient le rôle de l’institutrice anglaise. Dans la loge il y a une place inoccupée ; on l’offre à Didier, qui l’accepte avec empressement.