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bras et de ses mains. Il se trouve donc ainsi dans l’obligation de raconter qu’au milieu de la nuit tout le pays a été sinistrement réveillé par le tocsin. L’horizon rougeoie, l’air apporte des flammèches, la clarté blême d’un incendie enveloppe une chaumière dont les poutres lentement carbonisées ont fini par s’embraser. Sous ce toit, prêt à s’effondrer, habitait seule une pauvre vieille femme infirme, abandonnée par ses enfans, faute d’avoir pu la dépouiller de son dernier lopin de terre.

— Toute maison divisée contre elle-même ne peut subsister ! dit le dean en interrompant Didier.

— De grâce, continuez ! reprit Ethel, en s’adressant au jeune campagnard et visiblement émue. Je suis tout oreille.

— Dieu merci! on s’est mis promptement à l’œuvre, et après deux heures d’efforts, le feu était éteint et la pauvre femme hors de danger.

— Auriez-vous la bonté de lui remettre cette pièce d’or? demande miss Ethel à Didier.

— Très volontiers, mademoiselle. J’irai la voir tout à l’heure ; nous avons dû transporter la mère Trouillis dans une cabane à une centaine de mètres d’ici. Ah ! quelle consolation ce serait pour elle si vous consentiez à venir en personne lui porter cette offrande ! Votre compassion la toucherait plus encore que votre générosité.

— Allez, ma fille, allez ; n’oubliez pas que la charité est la plus excellente des vertus, comme l’a dit saint Paul. Je vous attendrai ici.

M. Elsewhere glisse alors quelques louis dans la main de sa fille.

Didier et Ethel s’éloignent en marchant d’un bon pas. La jeune miss cueille par-ci par-là une pâquerette, un coquelicot, une nielle ; elle demande à Didier le nom français de cette dernière fleur. A mon avis, poursuit-elle, rien ne vaut les fleurs des champs.

— Que devez-vous penser, mademoiselle, de l’agriculteur qui ne songe qu’à les détruire? Homme positif et terre à terre, il admire seulement les épis dorés lorsqu’ils sont changés en argent.

— Quoi ! les jolis épis barbus du seigle et du froment ne représentent à vos yeux que des quintaux de farine? Je me figurais, au contraire, que tout agriculteur devait puiser dans l’intimité de la nature, dans la vue du ciel, des sentimens élevés et religieux; évidemment, je me suis trompée. Puis, apercevant des bleuets qui poussent insolemment dans un sillon, Ethel pénètre dans le haut blé en écartant de la main les épis, comme une ondine qui se fraie un chemin à travers les vagues. Pendant ce temps Didier murmure les strophes si connues :


Allez, allez, ô jeunes filles,
Cueillir des bleuets dans les blés.