Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 79.djvu/428

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la végétation française dans l’ouest. Cependant, M. Elsewhere n’est pas si absorbé par sa lecture, qu’il en oublie les études artistiques de sa fille. De temps à autre, il s’arrête pour en suivre les progrès, un doigt entre les pages de son livre à demi fermé ; tout à coup il s’écrie :

— Cette fontaine primitive, ce calme profond, ce ciel bleu intense, ce beau soleil, ne vous rappellent-ils pas, Ethel, ce passage de la Genèse où Abraham, ayant fait venir son intendant, l’avertit qu’un ange le conduira et lui fera trouver sur son chemin une femme pour Isaac?

Le dean savait par cœur toute la Bible en grec ; aussi les citations revenaient-elles sans cesse sur ses lèvres. Cadet d’une famille titrée, son érudition, ses manières distinguées, eussent suffi pour le mettre partout en évidence ; il possédait en outre, une fortune considérable que lui avait léguée un sien cousin.

Veuf depuis dix ans et n’ayant jamais voulu se séparer de sa fille, il lui avait donné une institutrice suisse. Il passait dix mois sur douze à Peterborough, siège de son doyenné ; quant à ses vacances, il les consacrait, ainsi qu’il est de bon ton de le faire en Angleterre, à voyager sur le continent. Depuis vingt ans, visiter les cathédrales était le but qu’il poursuivait avec acharnement ; il en connaissait déjà plus de quatre cents! Pendant plusieurs années, miss Ethel s’associa inconsciemment aux goûts de son père ; mais un beau jour, elle déclara qu’il lui paraissait non moins fastidieux de monter dans les tours et les clochers, que de descendre dans les cryptes et les caveaux.

Au rebours de sa fille, la passion du dean pour les basiliques datait de sa première jeunesse, à telle enseigne que ce fut même au sommet de la tour centrale de Saint-Nicolas, à Aberdeen, datant de 1352, et dont la plus célèbre des neuf cloches a quatre pieds de diamètre, qu’il fit, au son d’un formidable carillon, sa déclaration à la jeune fille qui devait être plus tard Mrs Elsewhere.

Les beautés de la nature charmaient plus miss Ethel que les chefs-d’œuvre de pierre. Elle se consacrait avec passion à l’étude du paysage, se rappelant, pour soutenir sa persévérance, qu’un grand maître se targuait d’avoir mis trente ans à savoir dessiner une feuille.

Cette année-là, M. Elsewhere et sa fille établirent à Versailles leur quartier général. Ils pouvaient d’autant plus facilement rayonner aux alentours, qu’ils s’étaient fait suivre de leurs chevaux de selle.

Après une halte de trois heures environ au Bosquet du roi, le père et la fille reprennent, pour s’en aller, le chemin qu’ils avaient suivi pour venir. De loin, ils aperçoivent dans une pièce de terre une douzaine de journaliers en train de déjeuner; parmi eux ils