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s’aider eux-mêmes. Les landlords combattront pour leurs rentes avec le fer et le feu et obligeront Salisbury à demander au parlement de leur venir en aide par quelque bonne loi de coercition. Alors ce sera la guerre ! »

Le bill de M. Parnell était fondé sur ces idées et reposait sur l’argumentation dont il s’était déjà servi dans le débat sur l’adresse. On avait découvert tout à coup depuis le rejet de la grande proposition gladstonienne que les rentes fixées par décision judiciaire, conformément à la loi de 1881, étaient devenues beaucoup trop élevées par suite de la baisse des prix de toutes les productions agricoles; le plus grand nombre des tenanciers seraient incapables à l’échéance prochaine de payer leurs fermages. Il fallait donc s’attendre aux plus sombres catastrophes cet hiver si les landlords, encouragés par l’échec des tentatives de législation libérale et par l’avènement du parti conservateur au pouvoir, étaient laissés libres d’user dans toute leur rigueur des procédés légaux. Le bill proposait en substance que les procédures d’éviction fussent suspendues toutes les fois qu’un fermier offrirait de payer 50 pour 100 de la rente due, jusqu’à ce que les tribunaux compétens eussent reconnu s’il était sincère en affirmant l’impossibilité de payer davantage. M. Parnell aurait voulu que la réduction allât jusqu’à 75 pour 100; sur les conseils de M. John Morley, il s’était cependant contenté d’une diminution de moitié.

M. Parnell comptait sur l’intervention de M. Gladstone dans le débat. Le grand homme oserait-il cependant donner l’appui de sa merveilleuse éloquence à des argumens qu’il devait trouver détestables au double point de vue politique et économique? Il l’osa, l’ayant promis à son allié, et défendit le projet aussi chaudement qu’il eût attaqué toute mesure analogue proposée par le gouvernement conservateur.

Vainement on lui opposa que tout son système de rachat des terres, repoussé en juin, était fondé sur le taux des rentes fixées de 1881 à 1884 par décision judiciaire, que ni lui ni aucun nationaliste ne s’étaient avisés de trouver alors ce taux trop élevé, que les prix des productions agricoles n’avaient pas commencé à s’avilir depuis trois mois, mais depuis deux années, que, loin de s’accentuer, cet avilissement commençait au contraire à faire place à une reprise, que non-seulement l’Irlande n’était pas appauvrie au point qu’on le voulait prétendre, mais qu’encore elle s’était plutôt enrichie dans les dernières années, comme le démontrait l’augmentation considérable constatée par les statistiques dans le nombre des têtes de bétail, dans le total de la production des pommes de terre et des céréales, dans la consommation de l’alcool, dans les dépenses générales