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avaient été bouleversées par l’introduction de plans révolutionnaires impliquant jusqu’à l’existence même de la constitution britannique. Il était indispensable que la nation fît connaître clairement son sentiment et sa volonté sur des projets dont elle n’avait pas eu connaissance aux dernières élections et sur lesquels elle n’avait pas été consultée. C’était, certes, une lourde responsabilité que M. Gladstone assumait en demandant à la souveraine la dissolution d’une chambre qui n’avait pas siégé six mois ; il ne pouvait pas ne pas l’assumer. Le 10 juin, il vint annoncer aux communes que le parlement serait dissous aussitôt que les crédits indispensables pour la marche des services publics auraient été votés. Il espérait que la séparation pourrait avoir lieu du 20 au 25. Les élections générales suivraient aussitôt et le nouveau parlement serait convoqué dès que les résultats des opérations électorales auraient été officiellement établis.

En Irlande, on accueillit avec calme le vote du 7 juin et avec plaisir l’annonce de la dissolution. Le pays avait surtout hâte de sortir d’un état d’incertitude qui ne pouvait, en se prolongeant, que produire l’épuisement et la ruine. Le rejet du bill Gladstone avait causé plus de désappointement que d’indignation. On comptait sur une revanche électorale. Le Freeman’s Journal s’écriait fièrement que le projet spécial du cabinet libéral avait pu être repoussé, mais que le principe du home rule n’en avait pas moins triomphé, puisque les home rulers, qui, aux dernières élections, étaient 86, se trouvaient maintenant 311 au palais de Westminster. Dans les comtés séparatistes de l’Ulster, l’allégresse était générale et, malheureusement, n’alla pas sans violence. MM. Gladstone et Parnell furent brûlés en effigie. Des manifestations et des contre-manifestations s’organisèrent ; on prit les armes ; il se livra à Belfast une véritable bataille rangée entre catholiques et protestans, puis entre chacun des deux clans et la police; il y eut des tués et des blessés en grand nombre. C’était le début d’une longue période de désordres et de tumultes sanglans, le prologue de la guerre civile prédite par lord Randolph Churchill.

M. Gladstone a-t-il eu tort ou raison de croire qu’il servirait mieux les intérêts de la Grande-Bretagne en cherchant à la délivrer du souci de gouverner l’Irlande qu’en s’épuisant en efforts pour amadouer ou paralyser, par des palliatifs et des alternatives de douceur et de sévérité, l’énergie sans cesse croissante d’une opposition irréconciliable ? Est-il certain que, si ses projets avaient été adoptés, l’unité de l’empire eût été rompue et la sécurité de l’Angleterre menacée, sans même que l’Irlande eût été au moins satisfaite, comme l’ont affirmé tant d’hommes éminens, adversaires politiques ou anciens amis de M. Gladstone ? Le projet pour l’établissement