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serait demeuré jusqu’à nous de ces masses énormes si l’eau avait pu les attaquer en toute liberté. La montagne des Bakhtyaris ne fait pas exception à cette règle. On rencontre, en s’élevant, une couche très épaisse de marnes à bancs de grès présentant les caractères des vallées inférieures de la montagne. La présence de cette formation n’est pas toujours facile à vérifier, presque partout elle est recouverte par les éboulemens du calcaire siliceux de la couche supérieure. L’eau a miné et raviné les marnes et le gypse : le calcaire, n’étant plus soutenu, s’est brisé. C’est le phénomène que j’ai décrit à propos des bancs de grès ; mais il a pris ici des proportions considérables. Une assise de plus de quatre-vingts mètres d’épaisseur s’est rompue, des blocs énormes ont roulé et se sont entassés sur les parois de la couche inférieure. Les plus petits fragmens ont été entraînés jusqu’au fond des vallées, et là, pris dans la boue provenant de la destruction des marnes, ils ont donné lieu à une couche de remaniement perméable à l’eau. Peu épaisse sur le flanc de la montagne, par suite de la pente, cette couche atteint sur les hauts plateaux huit ou neuf mètres d’épaisseur, et c’est grâce à sa présence que le sol de l’Iran se trouve complètement drainé.

Depuis le départ de Chouster, les guides ne cessent de nous répéter : « Plus haut, c’est l’eau douce, l’eau fraîche, l’eau de neige. » Nous arrivons enfin à cette terre promise où la soif n’existe plus. Le pays est en effet très frais et très pittoresque ; mais il est habité. Et si, dans cette partie de notre voyage, la nature n’a eu pour nous que des sourires, les hommes, en revanche, nous ont partout témoigné l’hostilité la moins dissimulée.

Nous laissons derrière nous une succession d’étroites vallées très verdoyantes. Au-dessus de l’herbe s’élancent les tiges d’une plante qu’à mon grand étonnement je reconnais être du blé sauvage. L’épi est peut-être plus grêle, le grain moins nourri que dans nos cultures; mais il présente exactement les mêmes caractères. Nous passons d’une vallée dans l’autre en franchissant les petites chaînes à parois fort glissantes qui les séparent. Puis ce sont de vastes plateaux étages, celui de Kaleh-y-Toul, celui de Malamir. On accède de l’un à l’autre par une longue rampe en pente très douce. Sa largeur, fort régulière, est d’environ un kilomètre.

Vallées, rampes ou plateaux sont bordés par une montagne de quatre-vingts à cent mètres de hauteur, dont les parois sont le plus souvent verticales et où l’on distingue les bancs du calcaire puissamment assis les uns au-dessus des autres. Dans ces conditions, on est emprisonné dans la vallée; il n’y a d’autre issue possible que par les extrémités: telle est la rampe qui va de Kaleh-y-Toul à Malamir. Dans d’autres cas, les éboulis s’entassent jusqu’au sommet