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est d’ailleurs impossible de rien voir de plus joli que les bords de ces ruisseaux saumâtres. Ils sont très peuplés; des bandes de poissons agiles circulent rapidement, de gros crabes bleus nous regardent curieusement passer, puis, tout à coup effrayés, se retirent sous la rive. Tout au long du ruisseau, c’est une véritable forêt de roseaux verts, de tamaris à l’élégant feuillage, de lauriers roses couverts de fleurs, emplissant le fond de ces vallées de leur gaie couleur et de leur doux et pénétrant parfum. C’était une compensation bien due ; la vue de ce riche décor nous faisait oublier la soif qu’il était impossible d’étancher.

En nous élevant plus haut, nous fûmes moins heureux encore; car si l’eau était tout aussi rare, le paysage était plus désolé. Le terrain est constitué par du gypse cristallisé en fer de lance ; l’atmosphère est, dans cette partie, d’une sécheresse absolue, la végétation presque nulle ; les rares flaques d’eau sont encombrées d’algues vertes qui y forment un épais limon. Au printemps, l’eau de la fonte des neiges, qui coule sur ces pentes, dissout la roche, en émousse les contours. Là, moins que partout ailleurs, pas de lignes heurtées, rien que des mamelons arrondis qui éblouissent l’œil par leur éclatante blancheur où scintillent les cristaux du gypse.

Après avoir toute une nuit marché sur un plateau de grès coupé de vallées peu profondes, nous arrivons au pied de cette masse de pierre à plâtre. Il faut s’y élever de cinq cents mètres, en tenant les chevaux par la bride ; les pentes sont trop raides pour qu’on puisse rester en selle. Le jour naissant fait paraître les sommets environnans d’un rose léger, formant contraste avec la tache verte des marnes qui surmontent le gypse, et que l’on aperçoit sur les flancs d’une chaîne plus haute. De grandes touffes de genêts couvrent seules en de rares endroits ce sol ingrat. Enfin, nous sommes arrivés sur le plateau; là il n’y a point d’eau, même saumâtre, il n’y croît aucune plante : on n’a d’autre sensation que celle d’une chaleur suffocante et d’un air implacablement sec.

Lorsqu’on regarde cette formation d’un sommet assez élevé pour qu’on puisse découvrir un large horizon, on voit une série d’ondulations et de sommets arrondis. On dirait, par places, une mer violemment agitée par l’ouragan et dont toutes les vagues se seraient immobilisées. Mais ce n’est pas la mer et son mouvement perpétuel ; on ressent une tout autre impression au milieu de ces masses qui ne peuvent rien porter de vivant, où règne un éternel silence, que l’homme traverse d’un pas rapide et où il ne s’arrête point.

C’est une loi presque absolue, en géologie, que les formations de plâtre se trouvent comprises entre deux couches imperméables. Le gypse est en effet si facile à détruire par l’érosion, que rien ne