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Tous ces sédimens sont extraordinairement puissans. Leur épaisseur varie de 400 à 600 mètres. Tant qu’on n’a pas atteint le niveau du calcaire, l’eau douce est rare.

Ces roches étant extrêmement faciles à détruire par l’eau, on ne rencontre que des vallées d’érosion. Aussi ces montagnes n’offrent-elles point l’aspect déchiqueté de celles où des masses éruptives ont soulevé les couches sédimentées, se sont répandues au travers d’elles, et fixées en des formes capricieuses. Toutes les hauteurs qui nous environnent offrent une série de lignes droites peu heurtées, de mamelons arrondis; quelquefois ce sont des gorges étroites et profondes à parois verticales, mais dont le sommet offre une ligne toute droite.

Dans l’assise inférieure composée de marnes, renfermant des bancs de grès, les vallées présentent toutes à peu près le même aspect. Au fur et à mesure que l’érosion détruit les marnes, les bancs de grès se trouvent surplomber sur le fond de la vallée. Quand le poids de la partie ainsi laissée sans appui devient trop considérable pour la force de cohésion du grès, elle se rompt, se brise dans sa chute, et ses débris forment des amoncellemens souvent très pittoresques le long des deux collines qui bordent la vallée. Quelquefois un banc de grès a pivoté sans se fracasser, suivant toujours le niveau de la marne, qui baisse constamment. Il forme alors un revêtement très incliné aux flancs des collines et, lorsqu’il faut sortir d’une vallée, en gravissant une table de cette sorte, ce n’est qu’au prix de bien des chutes pour les malheureux chevaux, qui dans ces passages nous étaient bien plus une gêne qu’un secours.

Les vallées de cette partie de la chaîne étaient très fraîches à l’époque de notre passage. L’herbe croissait épaisse, émaillée, par places, de scabieuses, de roses trémières, d’anémones. D’endroit en endroit, un konar, arbre bien moins que buisson, barrait l’étroit sentier. Cependant on ne voyait aucune trace d’homme ; le pays est inhabitable en effet; l’eau qui le parcourt est chargée de plâtre et de sel. Les premiers jours, tourmentés par la soif, nous n’avions pu résister, malgré les avis de nos guides, au désir de nous rafraîchir avec cette eau claire comme du cristal. Son goût fade et désagréable nous avait empêchés de pousser l’expérience bien loin. Pour notre malheur, nous en avions cependant assez bu. Au bout de cinq minutes, la gorge et la bouche devenaient brûlantes et tellement desséchées qu’il était impossible de prononcer une parole sans de cruelles souffrances. La soif dont nous nous plaignions avant nous paraissait un état enviable comparé à celui dans lequel nous nous trouvions. Nos chevaux et nos mulets avaient été plus avisés ; ils aimaient mieux faire cette longue étape sans boire que de plonger leurs lèvres dans cette eau d’une limpidité trompeuse. Il