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suite de la courte saison où le feu du ciel laisse pousser et fructifier les plantes, on ne rencontre que quelques coléoptères à la robe sombre et modeste. En revanche, les moustiques et les mouches pullulent. C’est certainement un des plus grands ennuis pour l’Européen, auquel ces hôtes incommodes ne permettent ni jour ni nuit un complet sommeil.

Les arachnides : scorpions, solifuges, tarentules, atteignent une grande taille, sont fort nombreux et peuvent être la source de réels dangers.

Je passe sous silence les insectes aptères. Nous avions beau lutter contre leur invasion ; nos voisins les Arabes, à chaque visite qu’ils nous faisaient, avaient soin de renouveler notre provision.

Les oiseaux présentent des couleurs plus gaies. Dès la fin de février arrivent les geais bleus, dont le plumage d’azur attire l’œil et dont les cris incessans troublent le silence des chaudes journées ; des serins à ventre brun, des hirondelles à poitrine grise et tête rouge : toute une population volante et emplumée. J’allais oublier ceux qui résident en toute saison : francolins, perdrix, bécassines, sarcelles, qui, pour ne pas promener un aussi brillant bouquet de plumes, n’en étaient pas moins fort appréciés par les voyageurs, grâce à la saveur de leur chair.

Les souris et les rats forment, dans les parties de la plaine où le sol est sableux, de grandes colonies. La terre est percée comme un crible par leurs habitations. Chaque jour, nous rencontrions des sangliers, parfois en bandes de six ou sept. Ils fouissent le sol particulièrement dans le blé au milieu duquel croissent des iris dont ils prisent fort le bulbe. Les lièvres sont extraordinairement rares ; c’est peut-être grâce au prodigieux développement de la gent canine, car les chacals et les loups sont très abondans. Tous les soirs, dès le soleil couché, ils nous fatiguaient de leurs lugubres hurlemens.

Les lions mêmes ne font pas défaut. Ils trouvent un refuge dans les forêts de saules et de tamaris qui bordent les fleuves ; ils en sortent la nuit pour désoler les troupeaux des Arabes, que rien ne protège contre leurs incursions. Grâce à cette vie facile, ils n’attaquent que rarement l’homme. A maintes reprises nous avons vu les larges traces de leurs pas sur la berge humide des fleuves. Je me souviendrai toujours d’un concert nocturne qu’ils nous donnèrent sur l’Ab-Dizfoul. Descendant le fleuve sur de frêles barques, nous nous sentions cependant à l’abri, sachant que les lions ne seraient pas volontiers entrés dans l’eau. Le soleil venait de se coucher; les tourterelles et les ramiers, qui tout le jour avaient empli le bois de leurs roucoulemens, s’étaient tus. Tout à coup les branches craquent sous un pas puissant, un cri rauque répété de minute en minute nous