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attestées par deux lettres de 1740, l’une de Paris, l’autre de Metz, et qui nous mettent au fait de la vie menée alors par le chevalier. Il écrit, le 24 avril, qu’il court incessamment de Paris à Versailles et de la cour à Paris. Accablé par les affaires de son état et par les siennes propres, il vit dans un tourbillon et n’espère pas en sortir avant l’hiver prochain. Il va suivre le maréchal en Normandie et ensuite dans son gouvernement de Metz. C’est là que Perrin a son département propre, qu’il a établi sa famille, dont il vient de recevoir des nouvelles rassurantes. À l’heure présente, il réside à l’hôtel de Belle-Isle, qui au milieu de tant de courses, est le centre de ses divers mouvemens. Le 22 août de la même année, il est à Metz et il ira inspecter la frontière jusqu’à la fin de septembre, en compagnie du comte de Gisors ; puis il retournera à la cour pour tout l’hiver.

Le chevalier de Perrin, par un sort absolument contraire à celui de Mme de Simiane, a donc fini sa carrière dans un milieu brillant après avoir eu d’obscurs commencemens. Ses instincts de vanité eurent jusqu’au bout de quoi se satisfaire. Subalterne chez un grand seigneur, dont l’affabilité envers ses inférieurs était bien connue, le suivant à la cour, il gravitait dans l’orbite d’un astre parvenu à son apogée et participait à son rayonnement. Il fut heureux jusqu’au terme. Recherché de tous côtés, forcé de se prodiguer, convive assidu, on peut dire qu’il resta sur le champ de bataille, puisque, d’après une note relevée par M. Monmerqué dans un manuscrit du temps, il mourut d’une indigestion, à l’âge de soixante-dix ans, le 7 février 1754. À cette date, l’édition nouvelle préparée par lui va paraître, et Mme de Sévigné, dont la gloire n’est plus contestée, dont les lettres ne soulèvent plus de réclamations, a pris place parmi nos grands écrivains : elle est devenue classique. Perrin garde l’honneur d’avoir présidé à cette évolution, de l’avoir devinée, de l’avoir poursuivie à tout prix. Il est vrai que ce prix est cher, puisque, sans lui, nous aurions eu vraisemblablement tôt ou tard la correspondance de Mme de Sévigné complétée par celle de sa fille, en conservant les originaux et avec ceux-ci la possibilité de rétablir le vrai texte. Mais, dans ce monde, on ne saurait tout avoir, et Perrin, s’il était là, nous répondrait : « Êtes-vous bien sûr que, sans moi, vous n’eussiez pas tout perdu ? J’ai cru bien agir ; que celui de vous qui, à ma place, n’en eût pas fait autant me jette la première pierre ! »


G. DE SAPORTA.