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de ténacité d’esprit. Il était encore auprès du marquis de Grignan, ou du moins sous sa protection, lors du mariage de celui-ci avec Mlle de Saint-Amans. Le marquis le recommanda à son beau-père, et ce dernier le fit entrer dans les fermes où il fut employé en qualité de commis. Il était, en 1702, préposé à la recette des droits sur les marchandises qui entraient dans Paris, au bureau des Percherons, du côté de Montmartre, lorsqu’il fut dénoncé à d’Argenson et par lui à Pontchartrain comme « nouvelliste, » c’est-à-dire comme faisant commerce de gazettes à la main. Il employait des scribes gagés par lui à en écrire « jusqu’à cent-cinquante copies par ordinaires.» Il était même soupçonné, en sa qualité d’Allemand, d’en envoyer à l’étranger, et, sur l’autorisation expresse de Pontchartrain, il fut arrêté le 1er juillet et envoyé à la Bastille. Il fut fait en même temps une perquisition dans sa chambre en présence de M. de Saint-Amans, dont les attenances avec le prévenu n’étaient pas ignorées du ministre.

Cette fois son nom, exposé à tant de changemens, est écrit « Altremand, » mais c’est bien lui. Il fut même considéré tout d’abord, dans une note destinée au gouverneur de la Bastille, comme un criminel dangereux. M. de Junca, qui tenait le journal des entrées, relate sa nationalité allemande et mentionne qu’il a servi le comte d’Aubigny. On l’interroge le 12 juillet, d’après des instructions transmises de Marly à M. D’Argenson, lieutenant de police, par Pontchartrain. Mais la note est déjà singulièrement adoucie, et peut-être l’intervention du marquis de Grignan[1] n’y a-t-elle pas été étrangère. — Il y a à Paris bien d’autres personnes que lui se mêlant d’écrire de pareilles gazettes et les répandent mystérieusement sans les remplir d’autres nouvelles que celles qu’ils copient dans les feuilles imprimées. Les aides d’Altremand ont été mis les premiers en liberté ; en ce qui le concerne lui-même, il faut vérifier au plus tôt s’il est coupable et lui rendre justice. En parlant ainsi, au nom du roi, le 19 juillet, Pontchartrain semble jeter un blâme sur d’Argenson d’avoir agi aussi rigoureusement dans une occasion de minime importance. D’après d’Argenson, qui tient pour la sévérité, Altremand aurait entrepris, depuis cinq ou six ans, un commerce public de nouvelles ; il enverra incessamment son interrogatoire. — Enfin, un rapport du 2 décembre 1702, à la suite du quel Altremand est remis en liberté, nous apprend qu’Allemand d’origine et valet de chambre du marquis de Grignan, puis employé dans les fermes par M. de Saint-Amans, il tirait de son commerce

  1. Il était alors brigadier de cavalerie et faisait campagne en Belgique, sous le commandement du duc de Bourgogne. (Le Marquis de Grignan, p. 270 et suiv.)