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défection, favorise sous main. Bientôt, les Barbets forcent le passage du Mont-Cenis ; ils occupent la vallée de Saint-Martin, harcèlent Pignerol et tiennent en force la position presque inaccessible des Quatre-Dents, que Catinat, demeuré seul, finit par emporter d’assaut. Il marche ensuite sur Turin, où le duc de Savoie vient de se déclarer, en mettant en liberté les Barbets, arrêtant l’ambassadeur et tous les Français.

Par contre-coup, une vive fermentation remuait alors les protestans français, excités par la guerre générale. Le fanatisme des populations montagnardes des Cévennes, du Vivarais et du Dauphiné s’exaltait à l’appel des ministres proscrits, des prédicans et voyans extatiques de l’un et l’autre sexe. Un livre de Jurieu, lancé de l’exil en 1686, annonçait la délivrance de l’église et la ruine de la Babylone papiste. Ce premier soulèvement fut pourtant bientôt comprimé, grâce aux mesures, aussi habilement calculées qu’inexorables, de l’intendant Basville. Le comte de Grignan n’était pas resté inactif de son côté. Il devait surtout s’opposer à ce que les protestans soulevés du Vivarais pussent donner la main à ceux du Dauphiné et de la Haute-Provence. Dans sa correspondance avec Louvois, en 1689, il insiste sur la dispersion d’une assemblée de nouveaux convertis, tenue à La Charce[1], sur la ruine de cette communauté, sur l’arrestation des prophètes et prophétesses, à qui on fait leur procès, enfin sur la punition infligée au sieur de Poissac, capitaine de milices, qui « oste les anciens catholiques de sa compagnie, pour la remplir de nouveaux convertis, dans le dessein de se jeter avec eux chez les ennemis[2]

Cependant le danger allait devenir plus pressant. Catinat, après une marche rapide, s’était emparé de Nice au printemps de 1691 et, de là, il était entré en Piémont, en s’avançant jusqu’à Coni, devant lequel il avait échoué. Refoulé ensuite vers les Alpes par le duc, qui avait reçu des renforts, il repasse en Dauphiné, puis en Savoie, où il prend Montmélian et borne son effort, en 1692, à couvrir Pignerol et Suze. Le duc de Savoie, de son côté, par un mouvement contraire et à la tête de soixante mille hommes, pénètre en Dauphiné par les cols du Var, de Mirabeau, de l’Argentière ; guidé par les Barbets à travers les passages, ayant avec lui le duc de Leinster, Schomberg et un corps de quatre mille réfugiés ou Vaudois, il est précédé d’une proclamation de Guillaume d’Orange, qui provoque les Français

  1. Ancienne paroisse du comté de Forcalquier, située à 7 lieues de Gap. — c’était, au point de vue féodal, une seigneurie de quelque importance, dont une brandie des La Tour-du-Pin porte encore aujourd’hui le nom (note communiquée avec d’autres renseignemens par M. de Berlue-Péruasis).
  2. Lettre du 1er mars 1689.