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minorité catholique d’autre alternative que d’abjurer ou de fuir, à moins de vivre sous la menace d’une pénalité toujours dure, souvent atroce. Notre pays se fût honoré en se bornant à des mesures de police, suffisantes pour assurer la sécurité nationale, sans atteindre les droits de la conscience, ni interdire le culte de la fraction dissidente; mais, comme l’a observé fort justement l’historien des Secrétaires d’état, M. de Luçay, « l’impulsion partit plutôt de la circonférence, en sorte que l’on peut dire que, dans cette époque de centralisation, la révocation de l’édit de Nantes est une de ces rares affaires ou plutôt la seule qui n’ait pas suivi la direction exclusive des chefs du gouvernement, qu’elle leur a souvent échappé et qu’en plus d’une circonstance ils ont subi l’action de leurs propres agens. — Ce n’était pas de Paris, ajoute l’auteur, ou de Versailles, que le courant descendait aux provinces, c’est du fond des provinces que le flot montait à Paris. » Dans cette affaire, en réalité, ainsi qu’il est arrivé pour tant d’autres entreprises où les passions humaines, une fois mises en jeu, trompent les prévisions et échappent à l’analyse, les calculs faits d’avance, bien que fondés sur des apparences probables, se trouvèrent déjoués. On n’avait prévu ni le départ de la classe aisée et industrieuse qui, surtout dans l’ouest, émigra en masse, ni la fuite des officiers et des soldats qui allèrent grossir les rangs de l’étranger, ni enfin l’importance de l’insurrection cévenole. Louis XIV, tout le premier, aurait reculé devant ces résultats néfastes, puisqu’il n’hésita pas, lorsqu’il les vit se produire, à chercher à les arrêter. Dès octobre 1686, il fait défendre aux gouverneurs et intendans de forcer les nouveaux convertis à fréquenter les églises, et il leur est prescrit de fermer les yeux sur les refus de l’extrême-onction. D’autres tempéramens, entr’autres la remise d’une partie des revenus, puis la restitution conditionnelle des biens confisqués, enfin une certaine tolérance tacite, attestent ces dispositions. — De leur côté, les étrangers coalisés, tout en n’ayant pas l’idée d’imposer au roi de France un traitement envers les dissidens auquel n’avaient pas droit ceux de leurs propres états, comptaient pourtant sur un soulèvement général des protestans, surtout de ceux qui touchaient aux frontières ; mais là encore, la déception fut complète. Les populations du Dauphiné, appelées à la révolte par des manifestes, agirent en sens contraire de ce qu’on avait présumé et se levèrent pour repousser l’agresseur.

En Provence, surtout dans la partie haute de la contrée et sur la rive droite de la Durance, on comptait approximativement huit mille protestans au moment de la révocation. Ce fut à contenir ceux-ci, connus sous la dénomination de o nouveaux convertis, » et à tenir éloignés d’eux les ministres et prédicans, frappés de bannissement, que