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donc un portrait de famille. Il représente Mme de Sévigné visiblement âgée, avec le même bijou de corsage et la même coiffure, moins étalée, cependant, qui figurent dans le plus connu de ses portraits. Le visage est aussi moins large, les traits sont plus fatigués, l’expression moins vivante ; il est difficile de décider si c’est à l’âge du modèle ou à l’insuffisance de l’artiste que sont dues ces nuances, qui n’empêchent pas l’observateur de reconnaître au premier coup d’œil la personne peinte.

Les dix ans qui précèdent la mort de Mme de Sévigné furent pour le comte de Grignan des années d’activité qui mirent à l’épreuve la trempe énergique, quoique toujours contenue, de son caractère. A partir de 1685, les événemens se heurtent, s’accumulent, et pourtant il semble qu’il ait toujours été à la hauteur de sa tâche. — c’est d’abord la révocation de l’édit de Nantes, dont les conséquences furent si sérieuses pour le midi de la France. Des instructions et des édits qui tantôt aggravent, tantôt expliquent ou atténuent la première mesure se succèdent dans le cours de 1686, tandis qu’au dehors se forme la ligue d’Augsbourg, puis éclate (1687) la querelle avec le pape, suivie de l’occupation d’Avignon (7 octobre 1688). La promotion du comte de Grignan à l’ordre du Saint-Esprit, l’organisation des milices, enfin la guerre générale rendue imminente par la révolution d’Angleterre, tout cela s’accomplit avant la fin de la même année. Avignon, dont M. de Grignan avait été nommé gouverneur avec 20,000 livres d’appointemens, fut rendu à l’avènement d’Alexandre VIII et la paix religieuse conclue au bout de deux années. Il y avait, en effet, inconséquence flagrante à vouloir écraser les hérétiques sur les lieux où l’on venait d’encourir soi-même l’excommunication en ne reculant pas devant le schisme. La conduite de Louis XIV redevint logique après la restitution du Comtat ; mais que dire du sang répandu et des complications dangereuses sorties de la révocation de l’édit de Nantes, au moment où il fallait résister à l’Europe coalisée tout entière contre la grandeur de la France? On aurait tort cependant, si l’on veut être équitable au point de vue historique, de ne pas tenir compte de la disposition des esprits en France et des tendances générales de l’époque. Il eût été, sans doute, digne du sens droit que possédait naturellement Louis XIV, quand l’orgueil ou la passion ne l’emportaient pas, de voir plus haut et plus loin que ses contemporains et de sauvegarder la tolérance établie en France depuis près d’un siècle, comme une supériorité acquise à notre nation vis-à-vis de toutes les autres. La tolérance, il est juste pourtant de le rappeler, sauf en Hollande et non sans restriction, n’existait alors nulle part. Vainement l’aurait-on demandée aux protestans, dont les lois oppressives ne laissaient à la