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au chancelier. Faible obstacle, il est vrai, que l’opinion pour un tel homme; il sait la faire, non la subir, et aucun parlement ne l’empêcherait d’accomplir une tâche qu’il jugerait utile à l’empire; mais il a contre lui sa propre conscience. Il voit clairement qu’à persécuter l’église il n’a fortifié ni le protestantisme, ni la couronne, ni lui-même, qu’il use sans profit ses forces et compromet le repos du pays. Et dès qu’il est éclairé il est résolu. L’homme qui excelle aux œuvres de fer et de sang, que ni scrupules, ni respects n’arrêtent, montre son génie sous une face nouvelle : il ose se déclarer vaincu. Ni la colère d’un échec, le premier qu’il ait essuyé, ni la mauvaise honte de reconnaître son erreur, ne suspendent sa marche. Il va à Canossa malgré sa parole, plus grand peut-être le jour où il assure, en sachant se contredire, la paix religieuse à son pays, que le jour où, poursuivant ses guerres heureuses, il plaçait sur la tête de son maître la première couronne de l’univers.

Au moment où la sagesse de tous les peuples donne les mêmes leçons, met fin aux luttes confessionnelles et partout recherche l’alliance du catholicisme, sur un seul point du monde, des hommes qui se croient politiques et se disent patriotes préparent une guerre entre l’église et la société. Le pays choisi par eux pour cette expérience est celui où les catholiques forment une population plus nombreuse et moins divisée, où le catholicisme, aussi ancien que la nation, a pénétré dès les origines, dominé l’histoire, formé les mœurs, inspiré le génie. Ils veulent cette lutte après une révolution qui a réformé les abus anciens de l’église, dépouillé le sacerdoce de ses richesses, de son autorité politique, près de cent ans après un traité qui a mis le clergé dans la dépendance du pouvoir civil, donné les charges ecclésiastiques à des hommes nés du peuple, formé des prêtres réguliers de mœurs, charitables, dévoués à leur patrie. Ils ont commencé les hostilités le jour où dans la nation mutilée par la guerre étrangère toute discorde devenait sacrilège, où dans les provinces perdues le clergé catholique demeurait l’âme de la protestation contre la conquête et de la fidélité à la patrie. Ils vont consommer la rupture le jour où la France, isolée par la forme de son gouvernement, suspecte par les fautes de ses chefs, a dans la papauté son dernier ami, et dans le protectorat catholique sa plus puissante influence au dehors. Ils continuent par leurs lois le mal que l’envahisseur avait commencé par ses armes. Leur crime est d’enlever durant la paix à leur patrie les forces que la guerre même avait respectées. Ces hommes, consciens ou non, sont les ennemis de la France.


ETIENNE LAMY.