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les peuples que de tels imposteurs découvrent et transforment ! Heureux aussi le peuple qui produit de tels imposteurs ! Leurs bienfaits fondent leur influence, ils rendent populaire non-seulement la foi qu’ils professent, mais la langue dans laquelle ils l’enseignent et la patrie d’où ils viennent. Cette patrie, grâce à eux, possède sans un effort une influence morale que la conquête ne lui aurait pas donnée, et si elle veut obtenir des avantages plus tangibles, la route est ouverte à son commerce et à la diplomatie.

Voilà ce que de tout temps la France a compris. La religion d’état avait établi entre le pouvoir politique et le pouvoir religieux communauté de croyances ; l’état sous ce régime devait son appui aux missions comme à la propagande de la vérité. Le concordat avait laissé entre les deux pouvoirs une alliance d’intérêts ; sous ce régime, l’état avait à cœur de soutenir l’œuvre comme utile. Qu’il servit la foi ou se servît d’elle, il tenait pour son office de la développer. Ses faveurs entouraient les missionnaires et rendaient leur vocation plus facile, la vigilance les suivait partout où ils exerçaient leur ministère, son intervention diplomatique et parfois sa force militaire contraignaient les nations infidèles à respecter la vie et l’œuvre des missionnaires, à réparer les offenses, à expier les attentats commis contre eux. Il a toujours traité ces hommes comme s’ils remplissaient une fonction publique, il a voulu qu’ils fussent accueillis comme les envoyés de la nation. Il tenait si bien toute conquête religieuse pour une victoire nationale qu’il a protégé les missionnaires étrangers comme les siens, et qu’il a osé réclamer et obtenir des souverains infidèles le droit de protéger contre eux-mêmes leurs sujets devenus chrétiens. Il savait que la religion, victorieuse de la race, faisait serviteurs et amis de la France tous ceux qui prêchaient ou recevaient l’évangile. C’est cette puissance légitimement usurpée par le dévoûment de la France et consacrée par la souveraineté spirituelle, que les divers peuples de l’Europe ont été contraints de reconnaître. Au milieu de nos humiliations, l’éclat de notre apostolat demeurait intact, et, dans son dernier congrès, l’Europe reconnaissait nos droits.

La séparation accomplie entre l’état et l’église, que reste-t-il de cette primauté ? Sans doute la fertilité de la France chrétienne ne s’épuisera pas parce que le gouvernement dédaignera de recueillir la moisson. Ce n’est pas la faveur des ministres qui suscite les apôtres. Mais la puissance publique peut accroître ou diminuer les obstacles que de telles vocations trouvent toujours dans les faits. Le jour où l’état aura rompu toute communauté entre lui et l’église, ses lois deviendront le premier, peut-être le plus grand obstacle à notre propagande. Ceux qui se seront formés sans son concours