Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 79.djvu/328

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

conquérantes des âmes; celles-là seules sont maîtresses des volontés, obéies par devoir, respectées dans l’infortune et peuvent détenir des sacrifices. Tel est le caractère de la puissance religieuse, la plus absolue de toutes ; c’est à elle que les peuples les plus belliqueux ou les plus riches aspirent quand ils ont l’intelligence véritable de l’ambition. L’Angleterre s’est faite, dans l’univers entier, le champion du protestantisme ; la Russie appelle autour d’elle les multitudes slaves au nom de la foi orthodoxe ; le protectorat qu’elles revendiquent sur leur culte, la France le possède sur les catholiques depuis plus de temps, avec plus d’autorité, avec plus de droits.

La France, en effet, n’a pas été seulement une nation catholique, mais la nation catholique dans le monde. Chaque race a ses vertus, la nôtre a le don de l’apostolat. Son histoire est une propagande ; elle semble faire, moins pour elle que pour les autres, ses révolutions et ses idées. Les idées furent longtemps des croyances. La France se forma parce qu’une peuplade conquit au nom de la foi catholique ses voisines hérétiques ou païennes. A peine constituée, elle poursuivit sa mission par les croisades. Elle était si visiblement l’inspiratrice de ce mouvement où elle entraîna l’Europe qu’elle sembla seule : pour les Orientaux, les guerriers eurent un seul nom, les Francs, et la vaillance de toute l’Europe n’accrut que notre renommée. Peu à peu la preuve a été faite que la violence n’ouvre pas le chemin à la foi; la France, la première, comprit alors la parole de l’évangile, qui promet aux doux la victoire, et elle lança sur le monde de nouveaux soldats de la croix. Ceux-ci n’ont pas le droit de répandre le sang, sinon le leur; avec ce sang, ce n’est pas une ville qu’ils prétendent racheter, c’est le monde infidèle ; le tombeau qu’ils veulent conquérir est chaque âme dans laquelle le Christ n’est pas encore ressuscité. Étendues, purifiées, les croisades sont devenues les missions. Comme elle avait commencé les unes, la France a commencé les autres, plusieurs nations ont suivi son exemple, mais aucune n’a recruté ni ne renouvelle une armée aussi nombreuse, aussi héroïque, aussi conquérante.

Or on peut discuter si les missionnaires sont les messagers d’une vérité divine, on ne saurait nier qu’ils soient les ambassadeurs de la civilisation humaine. Ils dressent leurs autels sur les ruines des cultes cruels ou barbares, ils apportent avec eux des arts, des sciences, révèlent à chaque contrée ses richesses et la font connaître au monde, surtout ils apprennent à la barbarie la loi de la fraternité, dans des sociétés où les races, les castes, les individus s’oppriment et se méprisent, ils introduisent la réforme mère de toutes les autres, l’amour et le respect de la personne humaine. Heureux