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conservatrice, l’œuvre de la révolution. Sont-ce là des hasards que des amis de la révolution et de la république aient le droit de provoquer? Et quand l’indifférence générale, ou même les progrès de la haine contre l’église tiendraient attachés à un régime persécuteur la majorité des Français, on ne niera pas que les catholiques, trop peu nombreux pour dominer l’état, ne soient assez nombreux pour le troubler. Est-ce un avantage pour un gouvernement d’avoir l’hostilité irréconciliable d’un grand parti ? Est-ce un faible danger pour un pouvoir fragile comme l’opinion publique, et toujours à la merci d’un incident, d’engager la lutte contre une association disciplinée, ardente et sûre de durer? Est-ce un progrès vers l’accord des esprits et le rétablissement de l’unité nationale, que d’exclure à jamais de l’entente une partie de la nation ?


VI.

Toute politique de nature à affaiblir la France au dedans la compromet au dehors. Plus que toutes les autres, les fautes commises dans les affaires religieuses s’étendent par-delà ses frontières.

Le pouvoir a trois origines : il se conquiert par la force, par les intérêts, ou par les idées. Ces trois sources unies ont longtemps alimenté la fortune de la France : elle a eu à la fois la prépondérance des armes, la grandeur du commerce, la dictature des idées. Depuis, deux de ces sources semblent tarir pour nous et coulent pour d’autres. Un peuple s’est élevé au milieu de l’Europe comme la statue colossale de la guerre. Un autre peuple, maître de la mer et uni par elle à des colonies étendues comme des empires, a accaparé les échanges et ne laisse à toutes les autres nations que le superflu de sa richesse. Pas une de ces nations n’a été victime de ces changemens à l’égal de la France. C’est à elle que l’Allemagne a enlevé la primauté des armes, à elle que l’Angleterre a enlevé la primauté du commerce; les dépouilles d’un peuple ont fondé la grandeur de deux autres. Une seule puissance nous reste. Tandis que les uns conquièrent par le soldat et les autres par le marchand, la France conquiert encore par l’apôtre.

Que l’on ne considère pas comme méprisable cette dernière supériorité que nous ait laissée la fortune. La plus haute ambition qui puisse tenter un pouvoir n’est pas de retenir les hommes ou les peuples par l’intérêt ou par la force. La force laisse les esprits rebelles, l’intérêt les laisse calculateurs; une puissance fondée sur la crainte ou l’égoïsme est à la merci du premier revers. Il n’y a de durables, de vraiment supérieures aux hasards, que les autorités