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Ce ne sera plus le même sacerdoce. Au clergé, qui, indépendant des fidèles et dépendant de l’état, a autorité pour imposer silence aux excès et porte, au milieu des conflits, un désir constant d’accord avec la société civile, aura succédé un clergé sans lien avec l’état et qui attendra des fidèles seuls sa subsistance. Sans doute, il ne laisserait pas corrompre même au prix de la vie la pureté de sa doctrine : mais les devoirs de conduite ne sont pas aussi précis que les formules de dogme, et dans les questions obscures de la politique il est difficile de donner tort à celui dont on reçoit le pain. D’ailleurs, la conscience du prêtre ne sera-t-elle pas complice des colères soulevées dans toute âme chrétienne par les iniquités de la persécution? qui à son égal sentira la misère du sort fait à l’église, à ses œuvres, à ses ministres, et l’impatience d’y échapper? S’élèvera-t-il au-dessus de lui-même pour calmer les emportemens des luttes religieuses? bravera-t-il le danger de glacer le zèle dans des cœurs simples et de devenir lui-même la pierre de scandale, quand le plus tiède dans la défense des droits de l’église sera le ministre de Dieu? Ne songera-t-il pas que, sous le régime de la séparation, l’impopularité du prêtre peut être la ruine du culte? Et si sa fierté supporte avec peine l’obligation où il est réduit de complaire à ceux qu’il devrait conduire, cette humiliation n’est-elle pas un grief de plus contre un pouvoir qui l’atteint non-seulement dans la vie, mais dans l’honneur? La modération aura cessé d’être un titre aux dignités ecclésiastiques : n’étant plus conférées par le choix de l’état, il faudra qu’elles le soient par l’avis du clergé et le vœu des fidèles : pour ceux-ci, la vertu sacerdotale semblera avoir pour mesure l’ardeur déployée contre les ennemis de l’église. Les prêtres les plus inflexibles de caractère, peut-être les plus intempérans d’humeur, se trouveront portés par la violence de la situation aux postes les plus élevés. Loin de calmer les esprits, le clergé consacrera et rendra plus intraitables les passions excitées par la guerre.

Ce ne sera plus enfin la même papauté, et sa sagesse ne saurait suppléer désormais à celle des clercs ni des laïques. Les laïques ont cessé d’être le troupeau dont l’intelligence se borne à connaître le pasteur et à le suivre : le culte ne se soutient que par leur effort volontaire, et les hommes réclament toujours en influence ce qu’ils donnent en dévoûment. Les clercs attachés par leur foi à la chaire de Saint-Pierre appartiennent, par toutes les forces de leur raison humaine et de leur intérêt, aux idées et aux passions dominantes de leur peuple. Si les conseils venus de Rome heurtaient ces sentimens et recommandaient de faire des concessions au pouvoir politique, l’obéissance deviendrait plus douloureuse aux prêtres, et si, après s’être vaincus, ils tentaient de vaincre l’opinion générale, ils auraient surtout chance de la mécontenter. Du mécontentement