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d’Egypte aux fleuves de Babylone, connut toutes les sortes de despotisme, et sa croyance au Dieu unique subit le choc de toutes les idolâtries. Vint l’épreuve suprême : c’est trop peu que cette race émigré de territoire en territoire, elle est dispersée entre toutes les nations. Durant des siècles, le régime appliqué aux juifs est la seule loi commune du monde. Elle leur assigne leur demeure, leur costume, leur métier, et par cela seul, ce costume, ces demeures, ces professions deviennent infâmes. Elle emprisonne les juifs dans la honte, mais elle leur laisse la vie, et c’est assez pour que rien ne meure, ni la religion, ni la race. Peu à peu les barrières des lois tombent ; celles plus indestructibles des préjugés s’abaissent ; aujourd’hui le juif est l’égal, parfois le maître de ceux qui l’ont opprimé. Quand les chrétiens parurent, ils offensèrent la jalousie romaine, et Rome était alors l’univers. Mais bien que leur sang ait coulé trois siècles, tous ne furent pas frappés comme ils devaient vaincre, la conversion de Constantin témoigna que la puissance politique renonçait à dépeupler l’empire. Le sang des protestans fut aussi répandu : après la réforme, la première monarchie du monde, la catholique Espagne, avait une seule province entachée d’hérésie. Philippe II se résolut de rétablir dans les Flandres l’unité et la foi. La force ne fit pas défaut dans cette exécution d’un peuple. Les bourreaux étaient les plus grands capitaines de l’Espagne et les champs de supplice ressemblaient à des champs de bataille, tant les victimes y tombaient nombreuses. Tant de sang répandu n’était pas néanmoins tout le sang des Flandres : elles gardèrent leur foi, et la violence, au lieu de les rattacher à l’église, n’eut d’autre résultat que de les séparer de l’Espagne. La révolution française tourna la même fureur contre le catholicisme, cette fureur ne détruisit pas la foi à l’église, mais la foi à la révolution, et après huit années de luttes, la France acclama l’homme qui lui rendait son culte et lui prenait ses libertés. Durant ce long état de guerre où toutes les religions tour à tour ont été victimes, laquelle a disparu? Une seule, celle des albigeois. Celle-là, elle est détruite, parce que, pour l’écraser, l’Europe entière fournit des hommes, et que le jour où ils se reposèrent, il ne restait plus sur le sol condamné une mère pour transmettre l’hérésie à son enfant, pas un enfant pour l’apprendre de sa mère. Et cette barbarie à son tour fut possible, parce que les adversaires des albigeois obéissaient eux-mêmes à une foi alors dans toute son ardeur. Soldats et chefs s’étaient volontairement levés pour la croisade et se croyaient armés par Dieu même; le fanatisme, ranimant leur bras las de tuer, leur présentait comme la plus haute vertu le triomphe remporté par eux sur les révoltes de leur pitié et les élevait à une cruauté surhumaine ; la force suprême, la force religieuse accomplissait là un double miracle en mettant aux