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pas d’accroître les libertés existantes, mais de les restreindre. Avant tout il faut dissoudre les ordres religieux qui vivent sans l’autorisation de l’état[1]. Non-seulement la France ne doit pas donner son or pour payer le culte, elle doit mettre la main sur la richesse accumulée par ces sociétés contraires à l’ordre public ; au budget des cultes succède la confiscation[2]. Cette violence ne frappe nommément que les membres des ordres monastiques. Mais si le législateur s’arroge l’arbitraire de choisir à qui il accordera et à qui il refusera une liberté, quel catholique n’est pas menacé? Les accusations portées contre les moines ne frappent-elles pas le clergé séculier[3] et les laïques? Tous n’ont-ils pas par leur foi abdiqué leur indépendance? Tous n’obéissent-ils pas au pape? C’est l’art des persécuteurs d’employer d’abord contre les personnes odieuses des griefs généraux qui, par la seule force de la logique, atteignent peu à peu tout le monde.

A quoi bon démontrer par de plus longues preuves un dessein dont l’impudeur s’élève à la sincérité? Par la religion d’état, la puissance publique avait été employée à soutenir le culte ; par la séparation, elle sera employée à la détruire. Aucun prétexte n’est interdit, aucune contradiction déshonorante, aucun moyen misérable qui fera l’église misérable, déshonorée, interdite. Ce n’est pas un genre de vie que la réforme prépare à l’église, c’est un genre de mort.

Un projet si public ne peut être ignoré de ceux qu’il menace. Pense-t-on que les catholiques se résignent à une pareille fin? Plus ils seraient ce qu’on les accuse d’être, ambitieux et fanatiques, moins on les trouvera prêts à se laisser exclure du monde qu’ils

  1. Proposition de M. Gatineau pour l’abrogation des lois sur le rétablissement des congrégations et de mainmorte. (Session de 1881.)
  2. M. Henri Brisson, discours du 9 décembre 1880 : « Comme la société non autorisée ne peut acquérir, comme elle n’a pu prescrire, comme les biens en question sont devenus des biens sans maître, ils appartiennent à l’état. — Proposition Jules Roche, article 9 : La loi ne reconnaît ni vœux, ni aucun engagement contraire aux droits naturels de l’homme. Elle ne permet aucune association ayant pour objet d’aliéner la personne humaine. » Article 10 : « En conséquence, les autorisations accordées à des congrégations religieuses sont révoquées et toutes les congrégations religieuses sont éteintes et supprimées. » Article 11 : « Les biens détenus par les congrégations et communautés non autorisées appartiennent à l’état, qui en prendra possession immédiate.
  3. M. Madier de Montjau, discours cité : « j’applique sans plus d’hésitation au clergé séculier le même droit applicable déjà aux congrégations non autorisées... Ce que je vous conseille, faites-le vite si vous voulez que nous soyons ce que nous devons être, la république vraie, la république française du XIXe siècle. »