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c’est peut-être quelque chose de plus. Lord Randolph Churchill, par son humeur batailleuse et entreprenante, comme aussi par son talent, s’est fait depuis quelques années, dans son parti, dans le parti conservateur, une position qui a forcé lord Salisbury à compter avec lui. Il a enlevé de haute lutte, il y a six mois, le poste de chef de la majorité, de leader du gouvernement dans la chambre des communes. Il était bon gré, mal gré, une des têtes du ministère, et depuis qu’il est au pouvoir, il a presque affecté de garder dans ses discours une sorte d’indépendance d’attitude et de langage à côté du premier ministre. Il paraît avoir pris, au dernier moment, pour prétexte de sa retraite, un excès de dépenses de la guerre et de la marine dont il n’a pas voulu assumer la responsabilité. C’est le prétexte ostensible et officiel. En réalité, le dissentiment est sans doute plus profond et tient à plus d’une cause. Lord Randolph Churchill, avec des emportemens dont il n’est pas toujours maître, a ses idées et sa politique. Sans cesser d’être conservateur par ses traditions, il se sent entraîné par ses instincts, par l’audace propre à son tempérament, vers un certain radicalisme qui dépasse le vieux libéralisme. Il a l’ambition de rajeunir son parti par ce qu’on pourrait appeler une infusion de démocratie. Il vise à représenter un torysme démocratique qui deviendra ce qu’il pourra, dont il se fait, en attendant, l’orateur et le porte-drapeau. Il s’est séparé de lord Salisbury pour des dépenses militaires qu’il n’accepte pas, peut-être aussi pour une direction de politique extérieure à laquelle il ne veut pas s’associer : c’est possible. Il n’est pas plus d’accord avec le ministère sur bien d’autres points, sur la politique à suivre à l’égard de l’Irlande, sur les réformes qu’on se propose d’introduire dans le système de gouvernement local de toutes les parties du royaume-uni. Il est entré au pouvoir, il y a six mois, sans cacher son drapeau, il en sort aujourd’hui avec son programme plus ou moins réalisable, et comme il n’est pas homme à rester longtemps silencieux ou inactif dans sa retraite, comme il peut avoir ses partisans ou ses alliés, sa démission prend aussitôt une tout autre signification, une tout autre importance que celle du premier venu. Elle crée, dans tous les cas, une situation assez difficile au ministère qu’il abandonne, qui se trouve d’un seul coup désemparé et peut-être menacé d’une dissolution plus complète. C’est là le point grave.

La première difficulté, pour lord Salisbury, était de reconstituer son ministère. Il pouvait sans doute chercher et même trouver aisément dans son propre parti un chancelier de l’échiquier, un nouveau leader pour la chambre des communes: c’était la combinaison la plus simple peut-être en apparence, et assurément la moins efficace en réalité. Lord Salisbury pouvait aussi saisir l’occasion de sceller plus intimement cette alliance avec les libéraux unionistes à l’aide de laquelle il a eu jusqu’ici une majorité, et c’est la pensée qu’il paraît avoir eue en