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Quelle apparence qu’il voulût subitement, sans plus de raison, reprendre son rôle de joueur, livrer de nouveau tout ce qu’il a fait à ce coup de dé du destin dont il parlait un jour ? Il est probablement d’autant moins porté à ces résolutions extrêmes qu’il connaît l’Europe. Il sait que, vaincu, il pourrait tout perdre, et que, victorieux, il serait aussitôt entouré des défiances des autres puissances, inquiètes d’un agrandissement qui ne laisserait qu’une suprématie debout sur le continent. M. de Bismarck ne s’y méprend pas, et voilà pourquoi il est vraisemblablement sincère dans les intentions pacifiques qu’il n’a cessé de témoigner jusqu’ici, dans le soin qu’il met à garder toutes les apparences de bonnes relations avec la France.

De quelque côté qu’on regarde, rien de visible, de saisissable ne conspire donc pour une guerre prochaine entre la France et l’Allemagne. Tout conspirerait plutôt pour la paix, les intérêts, les vœux des peuples comme la volonté des gouvernemens ; mais ce qu’il y a de vrai, c’est que, si la guerre n’est pas précisément dans la situation, dans les faits, les journaux de tous les pays ont bien fait ce qu’ils ont pu depuis quelque temps pour la mettre dans les esprits, dans les imaginations. Il s’est trouvé en France des journaux, surtout des journaux radicaux, qui se sont fait un jeu de recueillir et de propager les bruits les plus inquiétons, de reprendre le ton belliqueux en compromettant même quelquefois le nom de M. le ministre de la guerre dans leurs polémiques injurieuses et irritantes. Les journaux allemands, à leur tour, moitié par habitude, moitié pour soutenir et justifier le septennat, n’ont pas manqué de s’emparer de quelques incidens futiles, de paroles ou de polémiques sans importance en les représentant comme l’expression manifeste, menaçante, des passions guerrières et agressives de la France. Chose plus étrange ! les journaux anglais, en bons apôtres, se sont hâtés de se mettre de la partie, non pour apaiser la querelle, comme on pourrait le croire, mais au contraire pour tout aggraver, pour tout envenimer par leurs excitations et leurs commentaires. Ils ont cru peut-être servir les rancunes et les intérêts anglais en Égypte en prenant l’honorable rôle de dénonciateurs de notre pays, en signalant les agitations belliqueuses, les armemens, les préparatifs de revanche de la France. Ils ont, en vérité, rivalisé de perfidie et d’acrimonieuse violence dans leurs délations, et pendant quelques jours il a été avéré qu’on était en pleine conspiration de guerre, à la veille d’une formidable conflagration. Belle campagne dont les journaux anglais peuvent revendiquer le principal honneur !

C’est là ce qu’il y a de factice dans cette récente crise de mauvais bruits et d’alarmes. Ce qui reste de réel, c’est une situation où, de toutes parts, on a certainement besoin de mettre la prudence dans la conduite, la mesure dans les paroles autant que dans les actions. Le