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ou du Docteur Herbeau, mais on eût dû relire Marianna. Oubliez donc aussi l’auteur de Valentine et de Lélia, pour me parler de George Sand, et ne m’en montrez que la Petite Fadette avec la Mare au diable ! c’est ainsi que Marianna fait de Sandeau un personnage tout différent des portraits que l’on nous en donne, Marianna toute seule, et si je n’oserais dire que cet homme fût tout à fait le vrai, c’est du moins le plus ressemblant. Non ! ce n’est pas l’homme en Sandeau qui fut simple ou naïf, c’est l’écrivain qui manqua toujours de hardiesse et de décision, qui ne fut jamais assez naïf, qui ne put jamais être parfaitement simple. Il a bien moins péché par la conception, toujours claire et facile chez lui, ou par l’idée, souvent haute, que par le style, toujours gêné dans son apprêt même, et par l’exécution, rarement franche et définitive. Ajouterai-je qu’il savait son défaut, ce qui peut être est la pire condition pour écrire, attendu qu’en ce cas l’effort même que l’on fait pour se dégager de soi vous y renfonce de plus belle ? Si bien, qu’à mesure qu’il tâchait d’être plus naturel, plus simple et plus uni, au contraire il l’était moins, et les fleurs naissaient sous sa plume, mais quelles fleurs ! et de quelle rhétorique ! Est-ce peut-être pour cette raison, — parce qu’il se connaissait bien lui-même, et qu’il n’écrivait rien qui le satisfit entièrement, — qu’il a vécu si modeste ? Toujours est-il qu’il a ignoré le grand art de se faire valoir, celui d’occuper le public de sa personne, celui de tenir l’opinion en haleine, et si je puis ainsi parler, de l’agiter avant de s’en servir. Mais c’était aussi un grand indifférent, qui tenait surtout à sa tranquillité, ou, pour mieux dire, à la liberté de ses rêves et de ses méditations.

Avec une expérience assez étendue de la vie, et plus de profondeur que l’on n’en a voulu voir sous cette égale et paisible surface, Jules Sandeau n’aura pas moins été, non pas l’une des plus vives, mais sans doute l’une des plus aimables imaginations de ce temps. Il restera de lui trois ou quatre romans : Marianna, que l’on citera, comme on le fait déjà, mais que l’on ne lira point ; Mademoiselle de La Seiglière, la Maison de Penarvan, que l’on lira, comme nous l’avons fait nous-mêmes, au collège, une première fois, et de loin en loin, après cela, quand on voudra, par hasard, se rafraîchir l’imagination. En ce temps-là lira-t-on beaucoup la Grèce contemporaine ou le Roman d’un brave homme ? À Dieu ne plaise que je veuille prédire les malheurs de si loin ! Mais enfin, il se pourrait que Sandeau survécût à quelques-uns de ses contemporains plus bruyans, et même, qui sait ? un jour, que la Maison de Penarvan surpassât Madelon en nombre de mille, — puisque c’est ainsi que l’on compte maintenant à l’Académie française.


F. BRUNETIERE.