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comme des personnages, Sandeau avait pris possession du pays. Dans la littérature contemporaine, où la description aura tenu tant de place, presque autant que dans la peinture, le Bocage vendéen appartient à Sandeau, comme à George Sand le Berri, ou plus près de nous, comme la Provence à l’auteur de Numa Roumestan, comme la Bretagne à l’auteur de Mon Frère Yves et de Pêcheur d’Islande. Ce n’est pas à dire que Sandeau ait procédé comme eux, ni non plus comme George Sand. S’il n’avait pas de la première la manière large, facile et poétique, cette abondance de mots et ce flux éloquent de style, il n’avait pas non plus de ceux qui l’ont suivi l’observation minutieuse, la notation précise, l’impression ou la vision intense. Même on ne peut pas dire qu’il s’attarde beaucoup à décrire; il indique, il dessine plutôt qu’il ne peint. Mais il n’est pas moins vrai que, chez lui, dans ses bons romans, dans ses romans vendéens, l’accord parfait des lieux avec les personnages et des situations extérieures avec les sentimens suscite aux yeux le paysage, de telle sorte qu’une ou deux touches, délicates ou fortes, suffisent alors pour en donner la sensation et, comme on dit, l’hallucination vraie. Et l’on peut, certes, en préférer d’autres, mais on peut aimer aussi cette façon de décrire, discrète et contenue, quoique non pas moins savante; on peut l’aimer; et on doit reconnaître qu’elle a contribué pour sa part à donner aux petits chefs-d’œuvre de Sandeau la perfection de leur genre.

C’était en 1857 qu’il avait écrit la Maison de Penarvan, et, jugeant apparemment qu’il avait assez fait pour sa gloire en conquérant lui seul toute une grande province, il se reposa. Car je ne saurais goûter beaucoup ses derniers récits : un Début dans la magistrature, le Château de Montsabrey, le Colonel Evrard, Jean de Thommeray, quelques autres encore. Disons seulement des deux derniers qu’ils sont assez émouvans. Le don précieux de l’émotion, si rare de nos jours, Sandeau l’a eu et, jusque dans Jean de Thommeray, on le retrouve encore. Mais on peut prendre occasion du Colonel Evrard, une courte nouvelle, qui serait assez insignifiante si Sandeau n’en était l’auteur, pour achever de préciser quelques traits de sa physionomie. Les œuvres, en effet, ne sont pas seulement ce qu’elles sont, mais elles servent encore à s’éclairer les unes les autres, et souvent la moins connue, la moins digne de l’être, n’est pourtant pas la moins révélatrice ou la moins significative. C’est un peu le cas du Colonel Evrard pour l’auteur de la Maison de Penarvan et de Marianna. Volontairement ou involontairement, Sandeau y a mis son secret, il l’y a laissé passer du moins, et peut-être ce secret n’est-il pas celui que l’on croit.

Sous la placidité de son apparence et en dépit de sa bonhomie, j’oserai donc dire qu’il avait le goût du grand et de l’héroïque. Pierre Corneille l’a bien eu, qui était un autre bonhomme. Coups d’épée, grands