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qu’on ne le pensait, devinant assez vite à qui il avait affaire et réglant là-dessus sa contenance et son langage. Il était arrivé à Nuremberg sans autre intention que celle de devenir Schwolisch ou chevau-léger. Il trouva des gens disposés à croire qu’il était un héros de roman et la victime d’une noire conspiration. Il entra dans leur idée, il inventa l’histoire très enfantine du caveau. On le regardait comme un innocent, on parlait librement devant lui ; il faisait son profit de tout ce qu’il entendait et il fut tout ce qu’on voulait qu’il fût. L’habileté relative avec laquelle il joua son personnage s’expliquerait plus facilement encore si l’on admettait avec Merker qu’il s’était échappé de quelque cirque ambulant, où il avait acquis quelques lumières sur l’art de monter à cheval et le talent de composer son visage pour divertir les badauds dans les intermèdes. On assure que, dans les derniers mois de sa vie, il avait conçu le projet de faire son tour d’Europe, de s’en aller de ville en ville, se montrant pour de l’argent dans une baraque. Cette façon de gagner son pain lui souriait beaucoup plus que les emplois que lui proposait le comte Stanhope. C’était l’homme naturel qui reparaissait et triomphait du rôle appris : tôt ou tard il laisse passer le bout de l’oreille.

Les honnêtes gens qui s’étaient laissé prendre à l’histoire du caveau n’en voulurent jamais démordre ; elle fut pour eux jusqu’à la fin parole d’évangile. Il est dur de décroire et d’avouer qu’on a été dupe. On a vu à Paris un mathématicien de grand mérite tenir pour authentiques des lettres où Pascal enseignait l’attraction avant Newton et continuer de croire à ces lettres quand personne n’y croyait plus. On a vu en Prusse un illustre égyptologue recommander à l’Académie des sciences de Berlin comme un ouvrage d’un prix inestimable un manuscrit grec fabriqué par un faussaire, où il trouvait la confirmation de quelques-unes de ses conjectures les plus hasardeuses ; on eut bien de la peine à lui arracher l’aveu de son erreur. L’éminent criminaliste Anselme Feuerbach, qui joignait à une âme chaude, à une vive imagination le goût des raisonnemens subtils et l’art de déchiffrer le secret des cœurs, ne sut pas déchiffrer Caspar Hauser. Dès le premier jour, il l’avait considéré comme un miracle, et l’ayant dit une fois, il ne fallait pas lui demander de s’en dédire. « Ce cher enfant trouvé, écrivait-il à un ami en 1830, est depuis des années le principal objet de mes études, de mes recherches et de mes soins. Un habitant de Saturne tombant une nuit dans la ville impériale de Nuremberg ne serait pas enveloppé de plus de mystère. » Il finit par décider que Caspar était un prince badois, et jusqu’à sa mort, il fut avec le roi Louis le plus zélé champion de la légende.

De leur côté, les physiologistes et les moralistes, convaincus qu’un jeune homme qui avait passé seize années dans la solitude d’un caveau