Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 79.djvu/217

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mère, qui a souvent dit, comme la vieille margrave : « c’est impossible ! »

Mais le roi Louis avait pour complices tous les mécontens du grand-duché. Tel fermier de jeux, qui se plaignait d’un déni de justice, tel solliciteur éconduit vengeait son injure en disant : « Caspar Hauser vous devenait incommode, vous l’avez fait assassiner. » On donnait audacieusement le nom du mystérieux personnage qui avait conduit cette affaire et on accusait le comte Stanhope d’avoir été l’entremetteur du crime. S’agissait-il de fournir des preuves, on battait la campagne. De temps à autre, quelque habile homme, en quête d’argent, mandait à la cour de Carlsruhe qu’il était en possession de papiers secrets où la tragique aventure était contée de point en point. Il demandait une forte somme, on ne lui donnait rien, il publiait ses papiers, et les gens qui avaient du flair et de la lecture reconnaissaient dans son opuscule des chapitres entiers de vieux factums, tombés dans l’oubli, et des scènes tirées d’un roman de Seybold que personne ne lisait plus. Telle est, selon M. von der Linde, l’histoire de la fameuse brochure de 1882, dont le tribunal de Ratisbonne a fait justice.

Merker avait réduit la question à ces termes : nous ne savons rien sur Caspar Hauser que ce qu’il lui a plu de nous dire lui-même, et personne n’a passé huit jours avec lui sans le surprendre plus d’une fois à mentir. Quelle créance mérite une légende fondée sur le témoignage d’un fieffé menteur? — Mais, objectaient les croyans, est-il possible d’admettre qu’un jeune homme d’esprit inculte et très court ait possédé le génie d’invention, et qu’il ait soutenu son imposture jusqu’au bout, sans jamais se trahir, sans jamais sortir de son rôle? — A cela les incrédules répondaient qu’on s’était bénévolement appliqué à lui faciliter sa tâche, qu’on lui avait ouvert les chemins, qu’il n’avait pas eu la peine de les frayer. Quelqu’un a dit qu’en France le premier jour est pour l’engouement, le second pour la critique, le troisième pour l’indifférence. Les engouemens des bourgeois de Nuremberg sont, paraît-il, plus durables que les nôtres ; le jour de la critique et de l’indifférence n’est jamais venu pour Caspar Hauser.

Il y a deux sortes de ruses. L’une, qui a quelquefois du génie, concerte, combine d’avance un grand plan, y conforme toute sa conduite et prépare de loin à ses adversaires des pièges aussi imprévus qu’inévitables. C’est la ruse du prudent Ulysse et de tous les grands politiques. Caspar Hauser n’eut jamais que la ruse passive du caméléon qui change de couleur selon les objets qui l’entourent. Il s’accommodait aux circonstances, il se prêtait avec une complaisance infinie aux désirs et aux préjugés de ses bienfaiteurs, il exploitait leurs préventions et leurs crédulités candides. Le maître d’école Meyer l’a représenté comme un homme robuste de corps, adroit de ses mains et plus souple d’esprit