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Il est plus facile de croire à cette bûche qu’à la méprise d’une grand’mère.

Un conte invraisemblable ne fait son chemin dans le monde qu’à la condition d’être patronné par un grand personnage qui a quelque intérêt à l’accréditer. Personne ne contribua plus à propager la légende de Caspar Hauser que le roi Louis Ier de Bavière, qui voulait peu de bien à ses voisins de l’ouest. Son père, Maximilien-Joseph, s’était promis d’annexer à ses états le palatinat badois, et avait conclu à cet effet, en 1815, un accord secret avec l’Autriche. On en veut toujours aux gens qu’on n’a pas réussi à dépouiller. Le roi Louis eût été bien aise de déconsidérer les descendans du second lit, qui étaient montés sur le trône en 1830, dans la personne du grand-duc Léopold Ier. L’occasion lui parut bonne de révoquer en doute la validité de leurs droits, d’insinuer à l’Europe qu’ils étaient arrivés au pouvoir par un abominable complot, que l’héritier légitime était le gros garçon qu’il avait recueilli dans sa bonne ville de Nuremberg. Pour lui plaire, il fallait avaler la légende les yeux fermés, la bouche toute grande ouverte ; les sceptiques, les chicaneurs le désobligeaient sensiblement.

Soit complaisance, soit amour du merveilleux, quelques personnes de haut parage inclinaient à croire au prince Caspar. Le peintre Greil avait fait son portrait au pastel ; il l’avait peint tel qu’il le voyait, c’est-à-dire comme un rustre peu avenant et de physionomie basse. Ce portrait fut gravé et le graveur transforma le rustre en un prince Charmant. La princesse royale de Prusse, qui ne connaissait que la gravure, écrivait, en 1832, à la reine Caroline de Bavière, sœur du grand-duc Charles : « Le portrait de ce pauvre jeune homme m’a vivement intéressée... Je ne sais si c’est l’effet de mon imagination frappée, mais il m’a semblé trouver quelque ressemblance entre les traits de Hauser et ceux de votre pauvre frère... Ce visage m’inquiétait comme un spectre. » Mais c’est la mère surtout, c’est la grande-duchesse Stéphanie qu’il importait de persuader, de gagner à la bonne cause. Très souffrante des suites d’une couche laborieuse, elle avait peu vu son enfant, elle ne l’avait pas vu mourir, et il est bien tentant pour une mère de croire que son fils n’est pas mort. On lui parlait souvent de Caspar Hauser, on l’engageait à le faire venir, dans l’espérance que le cœur lui dirait quelque chose. Elle secouait la tète, elle demeurait incrédule. Le célèbre jurisconsulte Mittermaier, professeur de droit à Heidelberg, eut avec elle un entretien à ce sujet. Elle lui déclara que l’enlèvement de son fils et la substitution d’un autre enfant était « une pure impossibilité. » — « Ma mère, écrivait la duchesse d’Hamilton, n’a jamais cru un mot de cette histoire. Que le roi Louis ait cherché à la persuader, c’est une autre, affaire. Quant à moi, j’ai toujours répondu que je m’en tenais au jugement de ma