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que toutes les personnes qui avaient pratiqué Caspar Hauser l’avaient surpris une fois ou l’autre en flagrant délit de mensonge. Mme Biberbach écrivait, le 19 février 1832 : «Que d’heures amères nous a fait passer cet enfant ! que de chagrins et de dégoûts il nous a causés par son manque absolu de véracité ! Quand on le prenait sur le fait, il affectait le repentir, promettait de se corriger, et nous recommencions à l’aimer ; mais le démon du mensonge avait si bien pris possession de lui qu’il retombait sans cesse dans son péché et s’enfonçait de plus en plus dans son vice. Du jour où il se vit démasqué, son cœur s’éloigna de nous. » Le comte Stanhope, qui l’avait aimé comme un père, commençait à se refroidir, à se défier. Après avoir rêvé pour lui la plus brillante carrière, revenu de ses illusions, il ne songeait plus qu’à lui trouver un emploi dans quelque grande écurie. Merker en inférait que l’enfant miraculeux, se sentant déchoir de ses hautes espérances, inquiet sur son avenir, avait éprouvé le besoin de ramener ses bienfaiteurs, de raffermir leur foi chancelante par une nouvelle comédie, qu’une fois encore il avait évoqué le fantôme de l’homme noir auquel le comte Stanhope ne croyait plus qu’à moitié, que l’assassin de Caspar Hauser était Caspar lui-même, qu’il s’était frappé d’un stylet, mais qu’il avait frappé trop fort, qu’il était la victime de sa maladresse, que sa mort était un suicide involontaire.

Les badauds raisonnèrent tout autrement que le méfiant et sagace conseiller de police. Ils crurent plus que jamais à l’homme noir et à la noble origine de Caspar Hauser. Ils avaient fait de lui tour à tour un fils de curé de village ou de chanoine ou d’évêque, ou de baron, ou de comte ou de magnat hongrois. Ils tinrent désormais pour certain qu’il était né dans un palais, que sa mère avait régné quelque part et que des collatéraux sans foi ni loi avaient ravi son héritage à l’enfant de l’Europe. Bientôt les soupçons se portèrent sur la maison de Bade et le grelot fut si bien attaché qu’aujourd’hui encore il tinte au moindre vent d’orage qui vient à souffler sur Carlsruhe.

Le margrave Charles-Frédéric, devenu grand-duc en 1806, s’était marié deux fois. Après la mort de la princesse Caroline de Hesse-Darmstadt, il avait conclu une union morganatique avec Mme Hochberg, comtesse de l’empire, née Geyer de Geyerberg. Il eut pour successeur son petit-fils Charles, lequel épousa Stéphanie-Louise-Adrienne de Beauharnais, élevée par l’empereur Napoléon au rang de princesse impériale de France. Elle eut cinq enfans, dont deux fils, morts l’un peu de jours, l’autre peu de mois après sa naissance. Le premier, ne le 20 septembre 1812, était décédé le 16 octobre de la même année ; le second vécut du 1er  mai 1816 au 8 mai 1817. Par la mort de ces deux princes, la succession passa à Louis Ier, oncle du grand-duc Charles, et, après lui, aux descendans du second lit, à la ligne morganatique