Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 79.djvu/213

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

histoire à un bourgmestre bavard. Cet homme noir n’avait été vu que de Caspar ; après avoir frappé le jeune homme, il s’était évanoui dans l’air comme une fumée. On multiplia les recherches, les enquêtes pour retrouver ses traces ; point de nouvelles. Mais, de ce jour, on s’occupa de protéger l’enfant de l’Europe contre les assassins qui le guettaient ; il ne sortait plus qu’escorté de deux gardiens attachés à ses pas.

On se relâcha peu à peu de ces précautions et, à quelque temps de là, Caspar quitta Nuremberg pour s’établir à Ansbach par les soins et aux frais du comte Stanhope. Il devint le pensionnaire du maître d’école Meyer, à qui il causait beaucoup de tracas et de chagrins. Le 14 décembre 1833, comme il se promenait seul dans le jardin public, il fut accosté par un second homme noir qui lui présenta une bourse et, pendant qu’il la prenait, il reçut au côté gauche un grand coup de stylet. La bourse contenait un billet écrit en caractères renversés et ainsi conçu : « Hauser pourra vous dire exactement l’air que j’ai et d’où je suis. Pour lui épargner cette peine, je veux vous le dire moi-même. J’arrive de la frontière de la Bavière. Je vous dirai aussi mou nom : M. L. Ö. » Ce second assassin fut aussi introuvable que l’autre. Malheureusement la blessure était plus grave qu’on ne l’avait cru d’abord et, le 17 décembre, Caspar expirait après s’être écrié : « Ah ! Dieu ! ah ! Dieu ! faut-il crever ainsi dans la honte et dans l’opprobre ! »

Il y avait alors à Berlin un conseiller de police, nommé Merker, logicien très méthodique, très exact, dont la sagacité se laissait difficilement tromper. Frappé de toutes les invraisemblances accumulées dans les récits de Caspar Hauser, il en avait tiré cette conclusion : « Ou il faut croire aux miracles, ou Caspar est un imposteur. » — « On dira un jour, dans un cours d’histoire universelle, écrivait-il, qu’un jeune homme apparut un soir dans une ville d’Allemagne comme s’il tombait d’une étoile : mais le ciel n’était pas sa patrie, il sortait d’un cachot souterrain et voyait, pour la première fois, la lumière du jour. Un mystérieux inconnu l’avait tiré de son trou, et cet inconnu était à la fois son geôlier, son maître, son instituteur, son libérateur et l’homme chargé de l’assassiner. La police de la ville de Nuremberg trouva du louche dans cette histoire et regarda l’enfant miraculeux comme un vagabond très ordinaire ; mais bientôt on se ravisa. On écrivit des livres et force articles de journaux. L’être extraordinaire devint l’objet de profondes recherches scientifiques. Sa salive, ses urines, ses évacuations furent savamment analysées ; on étudia, on commenta comme des affaires d’état toutes ses façons d’agir et ses moindres éternuemens. Quiconque se hasardait à exprimer un doute était honni, conspué, et un événement miraculeux était doctement expliqué par d’autres événemens plus miraculeux encore. »

Ce qui confirmait Merker dans sa défiance et son scepticisme, c’est