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de Bade[1]. Quelques années auparavant, l’empereur Guillaume avait déterminé le grand-duc son gendre à fermer la bouche aux calomniateurs en publiant quelques documens conservés dans les archives de Carlsruhe. Mais l’auteur anonyme prétendait avoir puisé les siens dans d’importans papiers laissés par une personne très haut placée, qui n’était autre que la grande-duchesse Stéphanie elle-même. Fort d’un tel témoignage, il avait entrepris de percer à jour un secret trop longtemps gardé et les mystères d’une ténébreuse et scélérate intrigue.

L’anonyme savait écrire, il savait conter, et nous avons lu dans le temps son opuscule avec autant d’intérêt que de défiance. Saisi de l’affaire, le tribunal de Ratisbonne fit justice du narrateur et de son récit, en déclarant que la fameuse brochure avait été compilée dans des publications antérieures, dénuées de toute autorité, et qu’elle fourmillait d’allégations inexactes ou mensongères, plus d’une fois démenties. L’éditeur, qui en appela, fut condamné aux frais et à retirer son livre du commerce. Une histoire critique, complète et sérieuse du soi-disant idiot de Nuremberg manquait encore ; M. Antonius von der Linde vient de l’écrire, et il ne s’est pas piqué d’être bref. Composer deux gros volumes inoctavo pour prouver que Caspar Hauser était un imposteur, c’est peut-être abuser de l’écriture. Mais les deux volumes de M. von der Linde intéresseront quiconque aime à savoir comment les légendes se forment, comment elles se propagent, comment elles s’imposent à l’humaine badauderie, pour qui le merveilleux a d’autant plus de charme qu’il a moins de vraisemblance[2].

Le 26 mai 1828, arrivait à Nuremberg un gros garçon de seize à dix-huit ans, court de taille, rustique d’apparence, aux cheveux châtain clair, aux yeux gris, à la barbe naissante, coiffé d’un grand chapeau de feutre, vêtu d’une jaquette de gros drap gris sombre, d’une culotte de la même étoffe, chaussé de bas bleus et de demi-bottes garnies de clous. Il était muni d’une lettre adressée à M. Frédéric de Wessenig, chef d’escadron au 6e régiment de cavalerie légère. Cette lettre sans signature disait à peu près ceci : « Je vous envoie un enfant qui voudrait servir dans les chevau-légers comme son père. Il m’a été remis par sa mère le 7 octobre 1812. Je suis un pauvre journalier, chargé de famille. Je l’ai élevé dans la religion chrétienne, et je ne l’ai jamais laissé sortir de chez moi, en sorte qu’âme au monde ne sait où il a vécu jusqu’à ce jour. Ne l’interrogez pas à ce sujet, il ne pourrait vous répondre. Pour mieux le dérouter, je l’ai conduit de nuit

  1. Kaspar Hauser, seine Lebensgeschichte und der Nachweis seiner fürstlichen Herkunft, aus nunmehr zur Veröffentlichung bestiminten Papieren einer hohen Person. Regensburg, 1882.
  2. Kaspar Hauser, eine neugeschichtliche Legende, von Antonius von der Linde, 2 vol. in-8o. Wiesbaden, 1887.