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principe du code, l’auteur de cette détresse s’en lave absolument les mains? Là est la question et point ailleurs. La jurisprudence elle-même, plus humaine que le code, ne l’a point toujours pensé. Avec d’infinies précautions et habiletés pour tourner, il faut bien le dire, la prohibition si formelle de l’article 340 du code civil, la jurisprudence a fini par admettre que la séduction suivie de grossesse, et précédée d’une promesse de mariage, pouvait donner lieu à des dommages-intérêts, car elle voit dans l’abandon de la mère et de l’enfant l’inexécution d’une obligation contractée. Mais les devoirs qu’un homme contracte envers la jeune fille qu’il a rendue mère ne peuvent-ils pas être rangés dans la catégorie de ce que le code appelle « les engagemens qui se forment sans convention? » Il ne s’agirait, au fond, que d’élargir l’exception que la loi elle-même a introduite au cas où la survenance d’enfant a coïncidé avec le rapt, et la question serait résolue. Il n’y aurait qu’à maintenir le principe en le tempérant par cette addition : « Néanmoins la séduction suivie de grossesse pourra donner ouverture à une demande d’alimens en faveur de l’enfant » et sans accorder pour cela à l’enfant naturel un droit au nom et à la fortune de son père. Quant à la double objection tirée de l’impossibilité de la preuve et des dangers du scandale, ce sont là des obstacles qui n’ont rien d’insurmontable. Si la preuve physiologique est impossible, la preuve morale est facile : le doute, comme dans toutes les instances, tournerait contre la demanderesse. Quant au danger des actions scandaleuses, je répéterai ici ce que je disais à propos du mariage. De même que le danger de voir des fils de famille épouser des danseuses ne vaut pas l’inconvénient de rendre le mariage trop difficile aux gens qui n’ont ni argent ni loisir, de même l’inconvénient d’exposer quelques débauchés, jeunes ou vieux, à des recherches de paternité calomnieuses, ne vaut pas celui d’encourager l’égoïsme et la débauche des hommes. D’ailleurs, contre ce danger, les précautions sont faciles à prendre. La plus efficace serait le serment préalable imposé à la femme avant l’ouverture d’instance, et la poursuite pour faux témoignage en cas de déclaration calomnieuse. À ce jeu, les coquines regarderaient. Mais qu’un homme puisse venir, en plein tribunal, invoquer un article du code pour s’exonérer d’une obligation morale incontestable, c’est un scandale aussi, et le vieux jurisconsulte Loysel n’avait-il pas raison lorsqu’il posait, dans son langage un peu brutal, ce principe que les auteurs du code ont malheureusement rayé non pas seulement de nos lois, mais de nos mœurs : « Qui fait l’enfant le doit nourrir ! »