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droits la loi fait-elle également le sien ? c’est une question à la discussion de laquelle il est impossible de se dérober.

Dans les pages qu’on vient de lire, il a été beaucoup question de la mère, de sa faute et de ses devoirs. Mais le père, où est-il? Où il est? Ne le demandez pas à ces malheureuses pensionnaires de l’Asile maternel que vous voyez assises sur une chaise de paille, leur enfant sur leurs genoux, affaissées sous le poids non de l’humiliation ou du remords, mais de l’anxiété. Ce n’est pas elles qui pourraient vous le dire. Sur dix de ces femmes, je gage que neuf ne pourraient pas donner l’adresse du père de leur enfant. Et, cependant, ce père, il est quelque part ; que ce soit un boutiquier ayant mis à mal sa servante, un domestique ou un employé de magasin ayant séduit sa camarade, un ouvrier ayant contracté liaison avec sa voisine de palier, il vit, de son côté, assez grassement peut-être, et ce que la charité publique et privée font pour la mère de son enfant, lui assurer un asile et des secours momentanés, c’est à lui apparemment qu’il appartiendrait d’y penser. Mais j’avais tort tout à l’heure de dire qu’il est quelque part. Il n’est nulle part, puisqu’il n’existe pas. En droit, l’enfant naturel n’a pas de père. Prolem sine patre creatam. En fait, il n’a pour prendre soin de lui que sa mère. On ne saurait s’imaginer, à moins d’avoir vu les choses de près, quelles ont été, dans la vie populaire, les conséquences inattendues de cet axiome du code : La recherche de la paternité est interdite. En posant ce principe nouveau, contraire à celui de l’ancien droit, les auteurs du code ont voulu mettre obstacle à certaines recherches dont ils redoutaient le scandale. Mais ils n’ont point entendu apparemment dispenser l’homme de l’obligation naturelle que lui impose la paternité véritable. L’homme ne l’a point compris ainsi : par cet axiome il s’est cru affranchi de toute responsabilité, de tout devoir. L’enfant, c’est l’affaire de la mère, ce n’est pas la sienne. De quoi vient-on l’ennuyer avec ce marmot? Il n’est pas marié : donc il n’a pas d’enfant. Chose étrange ! ces aphorismes monstrueux de l’égoïsme et de la débauche sont si bien devenus maximes courantes dans la morale des grandes villes (dans la campagne, il n’en est point tout à fait ainsi) que les mères elles-mêmes ont fini par les accepter. Ce qui frappe et ce qui émeut le plus quand on provoque leurs confidences, ce ne sont point leurs plaintes, c’est au contraire leur résignation. Elles savent qu’elles n’ont rien à réclamer ; elles paraissent trouver cela tout simple, et parlent sans amertume de celui dont elles auraient cependant bien à se plaindre. Cette acceptation si docile par la femme de la condition si dure qui lui est faite par la loi a beaucoup plus contribué à porter la conviction dans mon esprit que les vengeances du revolver ou du vitriol. Il faut que le désordre moral créé par cet axiome du code