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de 1 à 5 francs d’amende, et ce n’est que dans le cas d’une troisième condamnation, survenant dans les douze mois après la seconde, que la peine peut être portée de six jours à un mois de prison, avec privation de certains droits civils et politiques, et fermeture de l’établissement pour un mois si la peine a été prononcée contre un cabaretier. Cette loi avait reçu, dans les premiers temps qui ont suivi sa promulgation, une application assez énergique. Le chiffre des condamnations prononcées, tant à l’amende qu’à la prison, s’est élevé, en 1875, jusqu’à 91,238. Il est vrai que c’était sous le régime de l’ordre moral. Mais, en 1878, ce chiffre est descendu à 71,985. En 1884, dernière année judiciaire dont les résultats aient été publiés, il n’a été que de 68,087. La consommation de l’alcool ayant sensiblement augmenté, ainsi que le nombre des cabarets, il est bien difficile de ne pas conclure de cette diminution apparente à une plus grande mollesse dans la répression. En Angleterre, les condamnations prononcées pour ivresse avec désordre atteignent près de 300,000 par an, et tout en tenant compte que l’ivresse est un vice plus anglais que français, on ne peut s’empêcher de penser que la répression est plus énergique. Les condamnations prononcées par le tribunal de simple police du département de la Seine se sont élevées à 5,656. C’est le département qui présente le chiffre de condamnations le plus élevé, après celui de la Seine-Inférieure, qui accuse 6,034 condamnations. A Londres, le chiffre des condamnations atteint presque 40,000.

Une indication que la statistique française ne donne pas et qui serait cependant très intéressante, c’est la proportion des condamnations prononcées contre les cabaretiers. Il est à présumer que cette proportion est excessivement faible, à Paris surtout. Le cabaretier est une puissance devant laquelle le sergent de ville se sent bien peu de chose. Mieux vaut de nos jours être débitant de boissons qu’agent de la force publique. Cependant la surveillance et la répression s’exerceraient, j’en suis persuadé, d’une façon beaucoup plus efficace si, au lieu de s’acharner sur les ivrognes, elles s’exerçaient sur les cabaretiers. À ce point de vue et à d’autres encore, l’abrogation du décret de 1852 a été une lourde faute dont on subira longtemps les conséquences. Il est à remarquer que cette tendresse pour les cabaretiers est toute spéciale à la France et constitue une anomalie dans la législation comparée. C’est dans les pays les plus libéraux, les plus démocratiques que sont prises les mesures les plus sévères contre les cabaretiers. Ainsi, dans certains états de la grande confédération américaine, en particulier dans le Maine, un bien petit état, il est vrai, la vente des liqueurs spiritueuses est purement et simplement interdite. En Angleterre, une loi de 1872, qui porte contre les ivrognes des pénalités