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dont je parlais tout à l’heure, il y en a 809 qui sont expliqués par l’alcoolisme, soit 11 pour 100 du chiffre total. En 1849, cette même proportion n’était que de 6 pour 100. C’était peu et ce n’est pas beaucoup encore, sur l’ensemble des suicides, mais cependant, c’est encore un grief à invoquer contre l’alcool.

Il ne faut pas non plus exagérer l’influence de l’alcoolisme sur la criminalité. Me réservant d’étudier dans la suite de ce travail les causes et les formes diverses de la criminalité, je me bornerai à reproduire ici les chiffres qui, au congrès tenu à Bruxelles en 1880, ont été fournis par M. Yvernès, l’éminent directeur des travaux de startistique au ministère de la justice. D’après ces chiffres, le nombre des individus poursuivis devant les tribunaux correctionnels pour des infractions commises en état d’ivresse s’est élevé en moyenne à 10,052 pendant la période quinquennale de 1874 à 1878 sur 196,000 prévenus. En 1884, le nombre des prévenus traduits en police correctionnelle s’est élevé à 217,960 ; il n’y en a eu que 9,535 qui aient été en même temps poursuivis pour ivresse. Ce n’est pas donc pas à l’alcool qu’il faut attribuer l’augmentation de la petite criminalité. Quant à la grande criminalité, la seule indication que donne la statistique est que sur 100 meurtres, il y en a 10 en moyenne commis dans les cabarets. C’est trop sans doute, comme c’est trop de 9,000 délits occasionnés par l’ivresse sur près de 220,000 poursuites : mais ici encore, comme dans la diminution du nombre des naissances, comme dans l’augmentation des suicides, ce sont les causes morales de toute sorte qui prédominent et l’alcool n’est pas si coupable qu’on veut le faire. Mais ses crimes indéniables sont déjà assez grands pour qu’il vaille assurément la peine, comme on s’en préoccupe fort, de chercher un remède à ce qu’on appelle de ce mot nouveau : l’alcoolisme. C’est ici malheureusement que la question se complique.

Pour être en mesure d’indiquer le meilleur remède aux progrès de l’alcoolisme, il faudrait pouvoir établir avec certitude quelles sont les causes prédominantes de cette passion funeste ; mais ces causes sont complexes. Sans doute il y a dans tous les rangs de la société, et en particulier parmi ceux dont l’origine, l’éducation, les habitudes premières ont épaissi les sens, un nombre plus ou moins grand d’individus qui sont perpétuellement en quête de sensations violentes, grossières, et qui cherchent dans ces sensations un plaisir passager. L’ivresse étant de tous ces plaisirs celui qui se trouve le plus facilement sous leur main, ils s’adonnent à la boisson, et, comme le vin ne produit pas assez rapidement cet état de surexcitation, comme celui qu’ils peuvent boire est d’ailleurs aussi mauvais que cher, ils s’adonnent à l’alcool sous les diverses formes que l’habileté du commerce des boissons sait lui donner. Peu à