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la mort, cependant pareille conséquence est, à tout prendre, assez rare. Il faut même dire à ce propos que le spectacle de l’ivresse manifeste et brutale est, somme toute, assez rare dans les rues de Paris. On peut dire que l’ivresse n’est pas, à proprement parler, un vice parisien. Les femmes s’y adonnent beaucoup moins à la boisson que dans telle ou telle autre ville industrielle de France. Une femme ivre ne ferait pas dix pas sur la voie publique sans exciter un véritable scandale. L’homme lui-même conserve jusque dans ses excès cette tenue relative qui, j’en ai fait souvent l’observation, est la marque caractéristique du peuple parisien ; et il n’est pas très fréquent qu’on le voie s’avilir jusqu’à l’ivresse bestiale. Il est même à remarquer que la consommation moyenne d’alcool par tête, à Paris, n’est que de six litres, tandis qu’elle est de sept litres à Lille, de huit à Reims, de quinze à Rouen et de seize au Havre. Mais on ne saurait nier que l’alcoolisme chronique, avec toutes ses terribles conséquences directes ou indirectes, ne soit fréquent dans la classe ouvrière de Paris. L’alcoolisme n’est pas seulement la cause immédiate de certaines affections qui affectent plus particulièrement le système nerveux, et qui, suivant le degré, se traduisent par différens symptômes : depuis le tremblement de la main et des jambes jusqu’aux convulsions épileptiformes et aux accès de delirium tremens. L’alcoolisme est encore la cause du développement et de l’aggravation de beaucoup de maladies qui font dans les classes populaires de sérieux ravages. C’est ainsi que M. le docteur Lancereaux, dans un savant rapport adressé au congrès international tenu à Paris en 1878 pour la répression de l’alcoolisme, n’hésite pas à attribuer à cette funeste habitude le développement de la tuberculose, qui entre pour une si grande part dans les décès de la population parisienne, soit que cette terrible affection prenne la forme de la méningite, soit qu’elle adopte celle plus fréquente de la phtisie. Quoi qu’il en soit de cette opinion, qui a été, je crois, contestée, il est certain que les habitudes d’intempérance rendent beaucoup plus difficile la guérison de certaines affections et en amènent quelquefois la terminaison fatale. C’est ainsi que j’ai eu occasion de voir, par hasard, à l’hôpital Saint-Louis, un malheureux alcoolique qui y était entré quelque temps auparavant pour une blessure accidentelle à la jambe. La gangrène s’était mise dans la plaie, et les chairs verdâtres se détachaient par lambeaux de l’os, presque entièrement mis à nu. Aucune chance de guérison. Le malheureux était destiné à mourir de pourriture dans ce lit où il n’avait pensé se coucher que pour quelques jours. Et tout cela ne serait rien encore si les alcooliques ne transmettaient à leurs descendans des germes funestes. Les enfans de parens alcoolisés naissent particulièrement chétifs, malingres