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qui puissent être soulevées. C’est la peine de s’y arrêter quelques instans.


II.

Jusqu’au mois de juillet 1880, la profession de cabaretier était soumise à un régime exceptionnel et assez sévère. Aucun cabaret ne pouvait être ouvert sans une autorisation spéciale, et cette autorisation pouvait toujours été retirée non-seulement pour contravention du fait même du cabaretier, mais encore pour scandale survenu dans son établissement, ce qui intéressait le cabaretier lui-même au maintien du bon ordre. Cette législation a disparu pendant la période de réaction libérale (de courte durée du reste) où ceux qui détenaient le pouvoir semblaient avoir pour unique préoccupation de se désarmer eux-mêmes. Le régime qui remplace aujourd’hui cette législation a été spirituellement défini par un ancien préfet de police : le cabaret libre dans l’état libre. Plus d’autorisation, plus de fermeture administrative. La liberté et le droit commun. Plus heureuse que les associations religieuses, l’association des cabaretiers ou, pour l’appeler de son nom officiel, le syndicat des marchands de vins, ne connaît pas d’autre loi. Estimons-nous heureux que le privilège à grands cris réclamé de vendre du vin falsifié ne lui ait pas encore été accordé. Cette liberté nouvelle n’a point tardé à porter ses fruits. Il y avait à Paris, à la fin de 1880, de onze mille à onze mille cinq cents cabarets. Il y en a aujourd’hui de treize mille à treize mille cinq cents. Mais les cabaretiers proprement dits ne sont pas les seuls industriels qui se disputent la clientèle populaire à l’aide de boissons plus ou moins pernicieuses. Il y faut ajouter encore les liquoristes, dont les assommoirs, ont été si vigoureusement décrits par M. Zola ; les limonadiers et les crémiers, qui vendent tout autre chose que de la limonade et surtout de la crème ; enfin les traiteurs, qui sont par nécessité débitans de boissons. C’est un chiffre qu’il n’est pas facile de fixer avec exactitude ; mais je crois qu’on ne serait pas bien loin de la vérité en évaluant à quinze ou seize mille le nombre des débits de boissons de toute sorte qui s’ouvrent à l’homme du peuple. Que ce nombre soit très exagéré par rapport aux besoins légitimes, cela est hors de doute. Il suffit, pour s’en convaincre, de remarquer que dans certaines rues on trouve un de ces débits toutes les trois ou quatre portes : dix-sept sur soixante-cinq maisons rue de la Goutte-d’Or, quarante-cinq sur cent soixante-neuf maisons, boulevard de l’Hôpital : soit une proportion de plus du quart dans chacune de ces deux grandes artères populaires, que j’ai choisies au hasard, et qui sont situées